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HISTORIETTES ET FANTAISIES

Sans réfléchir, ou plutôt obéissant avant tout à ma nature impétueuse, je m’élançai vers l’escalier pour avoir raison de cet étrange signal, mais ma mère, ma sœur et mon jeune frère ne firent ensemble qu’un bond au devant de moi pour m’empêcher d’exécuter ce dessein. Je les regardai avec surprise. Leurs traits bouleversés, la pâleur de leur visage, leurs gestes, tout me disait en moins de temps qu’il en faut pour le lire, qu’une terreur soudaine s’était emparée d’eux.

Je vous avoue que je ne perdis pas un instant — je fis de même et commençai à trembler de tous mes membres. J’avais peur de l’audace que je venais de montrer — peur de n’avoir pas eu peur d’abord.



Quel reste de nuit nous passâmes ! Je ne vous la raconterai pas, c’est à vous de l’imaginer, si jamais il vous est arrivé d’avoir peur, peur, peur, peur !

Dès le matin, tout le voisinage savait notre aventure. Je dois dire que nous l’avions racontée très honnêtement — correctement, si je puis m’exprimer ainsi — mais il fallait voir les transformations qu’elle subissait en passant de bouche en bouche ! Ma mémoire, un peu rebelle à soixante-douze ans, en a retenu à peine quelques détails. Ce fut pendant cinq jours le sujet de tous les commérages du quartier.

Nous-mêmes, effrayés outre mesure par ces récits impossibles, nous en étions arrivés à ne plus fermer l’œil et à requérir les services de nos voisins assez complaisants pour venir coucher chez nous chaque soir.

Enfin le sixième jour, nous reçûmes la nouvelle que