Page:Sulte - Historiettes et fantaisies, 1910.djvu/62

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
61
DEPUIS CINQUANTE ANS

au berceau, ne vivra assez longtemps pour voir ce merveilleux ruban de fer et les locomotives qu’il portera. » Quinze ans plus tard, cet entêté montait en chemin de fer — première classe — pour aller voir sa tante à l’ancien bout du monde : à Montréal.

Les journaux annonçaient que l’on avait imaginé une machine à écrire et qu’elle allait être mise dans le commerce. Un long éclat de joviale humeur répondit à « cette bonne farce. » C’étaient des gens qui croyaient savoir l’orthographe.

Il y avait des hommes qui ouvraient des trous dans les rues et y plantaient de longs poteaux sur lesquels ils assujettissaient des fils de fer, et nous nous demandions ce que cela voulait dire. On nous répondit : « C’est le télégraphe. » Il fallut l’expliquer en grec pour nous rendre encore plus perplexes. Télé veut dire : de loin ; graphein signifie écrire : — donc écrire de loin. Il était évident que l’on se moquait du pauvre monde. Lorsque les dépêches commencèrent à circuler, plusieurs citoyens y virent distinctement la griffe du diable. Le fait est que Satanas a toujours passé pour un individu extraordinaire. Sa réputation est surfaite néanmoins. L’homme l’a battu en trouvant l’électricité.

Un yankee, appelé Cyrus Field, voulait réunir l’Europe et l’Amérique par un courant télégraphique ; on se moqua de son projet. Il mit sa fortune au jeu et réussit ; alors tous le monde déclara que ce n’était que l’application du sens commun, et même que la chose n’était pas surprenante : la preuve, c’est que les narquois de la veille devinrent les actionnaires du lendemain. Ils « approuvaient » l’idée de Cyrus Field. Bonne gens !