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efforts ne réussirent qu’à m’éveiller. Depuis, je n’ai fait que penser à cela, et pour peu que je ferme les yeux, ces scènes navrantes s’offrent à mon esprit.

— C’est assez étrange, dit Crawford. Cependant, vous devez savoir qu’on ne doit pas attacher d’importance à ces caprices de l’imagination que produisent les songes. Soyez donc plus maître de vous et ne vous frappez point l’esprit de cet événement bizarre.

— Vous avez probablement raison, mon cher Crawford. Tout de même la date fatidique du 15 décembre 1814 me tourmente. Je l’aurai sans cesse dans l’esprit.

— D’ici là nous aurons trop à faire pour y penser beaucoup.

— Je voudrais l’avoir dépassée ! L’impression que ces chiffres m’ont causée en les voyant sur mon cercueil me semble ineffaçable… Que va-t-il donc m’arriver, mon Dieu !…



Plus tard, les deux officiers furent séparés, l’un demeurant dans le Bas-Canada, l’autre servant sur le lac Ontario, mais l’automne de 1814, ils se retrouvèrent ensemble dans le voisinage de Sacket Harbour, à bord d’une canonnière chargée de faire le guet le long du rivage. La nuit était noire, l’air alourdi par des nuages qui annonçaient le mauvais temps ; pas un feu sur le rivage ; on savait d’ailleurs que l’ennemi ne se risquait pas de camper si près des canons de la flotte anglaise.

— Voici bientôt trois ans que nous sommes en ce pays, remarqua Crawford, j’en ai assez pour mon compte. Heureusement que la guerre est à peu près terminée.