Page:Sulte - Historiettes et fantaisies, 1910.djvu/42

Cette page a été validée par deux contributeurs.
41
LE RÊVE DU CAPITAINE

peut-être celui où nous nous rendons. Au bord d’un large fleuve ou d’un lac, sous l’ombrage d’un orme magnifique, au pied d’une éminence qui domine au loin les eaux, un homme était étendu, silencieux immobile, mort pour tout dire. Je le regardai, il avait un trou de balle dans le front.

— Allons, mon ami, vous imaginez les choses, c’est la fièvre plutôt qui vous tourmente, il faut chasser cela…

— Détrompez-vous, je n’éprouve aucune surexcitation, si je suis sombre c’est que je réfléchis. Cet homme, j’ai voulu le voir de près dans mon rêve… c’était moi ! je me reconnus sous la figure de ce cadavre. Alors ma vision s’embrouilla. Peu à près, je vis apparaître le cimetière de Waterton, dans lequel entrait une procession de funérailles. Je reconnus nombre de mes amis dans cette foule, mais mon attention s’attacha principalement sur une femme vêtue de deuil et qui avait la figure couverte d’un long voile de crêpe. J’étais certain de la connaître, mais sans pouvoir la nommer, à cause de son voile qui masquait ses traits. Elle paraissait accablée de chagrin. La cérémonie se termina. J’entendis le bruit sourd de la terre qui tombait sur le cercueil. Jugez de ma stupeur lorsqu’en portant mes yeux sur le couvercle j’y lus ces mots gravés sur une plaque d’argent : « Charles-Edouard Howard, mort le 15 décembre 1814. » !

— Vous avez lu cette inscription ? vous ne vous l’êtes pas fourrée dans la tête, comme on dit généralement ?

— Attendez donc, vous n’êtes pas au bout, tout se suit dans ce tableau. Lorsque les gens furent dispersés, la femme vêtue de noir resta seule près de la tombe et découvrit sa figure : c’était celle d’Annie Lee ! Elle ne pleurait pas, mais toute son attitude respirait la douleur la plus vive. Je voulus lui parler, la consoler, mes