Page:Sulte - Histoires des Canadiens-français, 1608-1880, tome VIII, 1884.djvu/93

Cette page a été validée par deux contributeurs.
80
HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Les ancêtres du major Hypolite Laforce sont dans le pays du temps de Champlain et plusieurs membres de cette famille, notamment le père et le grand père du major, avaient servi dans l’armée, avant la cession du Canada. M. de Gaspé en dit un mot, dans ses Mémoires : « Le sang des braves coulait dans les veines du major ; son oncle paternel s’était distingué par de nombreux faits d’armes avant la conquête ; les annales du Canada en font foi. Son père fut un des plus braves défenseurs de la ville de Québec pendant les sièges de 1759 et 1775 ; sa mère même avait des sentiments de patriotisme exaltés. Si son mari accablé de fatigue, succombait au sommeil, pendant ces deux sièges, et qu’elle entendait sonner l’alarme, elle l’éveillait aussitôt, lui apportait ses armes en lui criant : dépêche-toi, Laforce ! Quelle honte pour nous si tu n’étais pas rendu le premier sur les remparts ! Je tiens cette anecdote de deux de mes oncles, enfermés aussi dans l’enceinte de Québec, pendant ces deux sièges. On reprochait au major Laforce d’avoir la tête près du bonnet, par suite de quelques rencontres dans lesquelles il avait assez malmené ses adversaires ; je crois, pour ma part, qu’il devait avoir été poussé au bout, car je n’ai jamais connu homme d’un commerce plus facile. » D’après la tradition, Laforce était le type du galant homme et du joyeux compagnon. Le général Haldimand l’aimait beaucoup ; le 15 novembre 1780, il lui écrivait : « Pour vous montrer la haute opinion que j’ai de vos mérites, je viens de vous nommer au commandement des navires du lac Ontario, et je vous assure que je serai heureux de vous conserver dans cette charge importante. En même temps, mon amitié pour vous me porte à vous dire qu’il pourrait arriver le printemps prochain, des officiers de la marine royale dont le rang, dans le service de Sa Majesté, les placerait au-dessus de vous, mais à moins de cela, j’entends vous maintenir entièrement dans le poste de chef que je vous confie. » Il y a apparence que, en 1784, lorsque le général Carleton revint comme gouverneur, il donna le commandement du lac Ontario à M. Bouchette son sauveur dans la retraite de 1775. Le major Laforce s’était jeté avec tout son cœur dans l’agitation qui se faisait à Montréal contre sir James Craig, en 1808 et 1809. Écoutons encore M. de Gaspé : « Cet homme si gai, si spirituel, cet homme aussi loyal envers la couronne d’Angleterre qu’il était patriote sincère et attaché à son pays, pensa cependant succomber sous la tyrannie du gouvernement pendant l’administration du chevalier Craig. Incarcéré à Montréal pour ses opinions politiques, comme le furent à Québec le 17 mars 1810, les Bédard, les Blanchet, les Taschereau et autres sujets aussi loyaux que patriotes éminents, il faillit mourir dans un cachot des mauvais traitements qu’on lui fit subir. Il n’en fut pas moins un des premiers à voler à la frontière au secours de la patrie en danger lorsqu’éclata la guerre de 1812 contre les Américains. Son caractère ferme et indomptable lui fit éprouver plus de mauvais traitements pendant sa détention (1810) qu’aucun autre patriote exposé aux persécutions de l’oligarchie ; je dois, cependant en excepter Corbeil qui mourut victime de la cruauté de ses bourreaux. Quant au major Laforce, il était aux portes de la mort et ne dut la vie qu’à son tempérament de fer et à la trempe de son âme. Tant que je ne fus pas malade, nous disait-il, je conservai toute ma gaîté naturelle dans l’affreux cachot dans lequel on m’avait plongé. N’ayant ni livres, ni encre, ni plumes, ni papier, je m’amusais à tracer avec du charbon tout ce qui me passait