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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

bliées par le Canadien avaient fini par rejoindre en Angleterre les articles du Mercury ; certains hommes politiques s’en servaient dans les débats des communes ; ceci exaspéra le gouverneur Craig. : de là son coup de tête — et c’est ce que l’on admire à présent ! L’auteur que nous citons fait entendre perfidement que M. Bédard accepta les faveurs de l’autocrate qui l’avait mis en prison. Pour se convaincre de cette absurdité, il faudrait croire que Ryland et Craig bâtonnaient d’une main et récompensaient de l’autre. Or, nous savons comment les choses se sont passées. Le ministère de Londres venait de changer (décembre 1809) ; Craig qui avait tout gâté en Canada, fut rappelé ; la guerre menaçait, il ne fallait pas mécontenter plus longtemps les Canadiens. En 1810, M. Bédard sortit donc de prison, partant de force, comme il y était entré ; Craig s’en retourna cuver sa haine et mourir de chagrin quelques mois plus tard ; le Mercury resta avec la responsabilité de sa conduite ; Ryland fut éconduit des bureaux de Londres et nous revint humilié ; nos officiers de milice dégradés se virent remis en place, recherchés, respectés — enfin loin d’avoir le dessous, M. Bédard et ses amis étaient victorieux sur toute la ligne. Ajoutons que ce succès eut un double caractère. M. Bédard fut nommé juge aux Trois-Rivières, un lieu où l’oligarchie avait toujours casé ses créatures ; comme juges on y avait vu M. de Bonne, Deschenaux, Foucher, sans compter le juge Williams qui ne savait pas un mot de notre langue et qui présidait une population dont les dix-neuf vingtièmes étaient français ! Ainsi marchait le « développement intellectuel » de l’oligarchie. Lorsque le « vieux lion » (Bédard) parut dans ce milieu, il s’y manifesta des effarouchements.

Citons encore M. de Gaspé, dont les souvenirs sont si intéressants à consulter : « Ce serait une étude curieuse à faire aujourd’hui que de rechercher les causes qui ont induit le gouvernement d’alors à persécuter ces citoyens si respectables à tous égards. Personne n’ignore que les griefs, qui motivèrent les actes de rigueur de l’oligarchie, prenaient leur source dans le journal le Canadien que les patriotes du temps publièrent pour se défendre des attaques envenimées et grossières que débitaient contre eux les gazettes anglaises. La presse, les caractères, etc., qui servaient à l’impression de ce journal furent saisis par un piquet de soldats commandé par un juge de paix ; ma foi il faut l’avouer, par mon beau-père, le capitaine Thomas Allison du 5e régiment d’infanterie, mais retiré alors du service, et furent déposés dans les voûtes du palais de justice… Ce serait certainement aujourd’hui une lecture pleine d’intérêt et des plus curieuses que celle de l’ancien journal le Canadien, depuis le premier numéro jusqu’au 17 mars 1810, qu’il fut saisi par le gouvernement. On prétendait alors que plusieurs articles de ce journal tendaient à soulever le peuple, ce qui fut cause que les éditeurs propriétaires et les correspondants accusés de pratiques séditieuses furent incarcérés. Les moins coupables aux yeux des autorités, soit officiers dans la milice, ou exerçant quelques fonctions sous le gouvernement, furent congédiés. Oh ! oui ce serait une étude très curieuse que de chercher à découvrir les crimes qu’avaient commis tant de loyaux et respectables citoyens d’origine française, qui leur valurent une persécution si cruelle de la part du gouvernement britannique. Je jette aujourd’hui le gant au tory le plus farouche, pourvu qu’il ait quelque teinture de la constitution anglaise, et je veux passer pour le plus