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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

avec le plus de patience. Ce disciple de Zénon, toujours occupé d’études profondes pouvait se livrer à ses goûts favoris sans être exposé aux distractions dans la chambre solitaire qu’il habitait. Homme pratique, connaissant à fond la constitution anglaise, il ne communiquait avec les autorités que pour leur demander de quel crime on l’accusait ; et pour les prier de le mettre en jugement s’il y avait lieu à indictement au criminel. On se donnait bien garde d’instruire son procès ; il était à peu près aussi coupable de trahison ou de pratique séditieuse, que je le suis de vouloir m’emparer de la tiare de Notre Saint Père le Pape. On lui signifia après une année de détention, je crois, qu’il était libre. Je ne sortirai d’ici, répliqua Bédard, que lorsqu’un corps de jurés aura bien et dûment déclaré mon innocence. On le laissa tranquille pendant une dizaine de jours espérant lasser sa constance, mais à l’expiration de ce terme le géôlier lui intima que s’il ne sortait pas le lendemain de bon gré, il avait reçu ordre de le mettre à la porte. M. Bédard haussa les épaules et continua ses calculs algébriques. Comme plusieurs membres de sa famille, M. Bédard était un profond mathématicien. Le géôlier patienta le lendemain jusqu’à une heure de relevée, mais voyant alors que son prisonnier ne faisait aucun préparatif de départ, il lui déclara que s’il n’évacuait pas les lieux de bonne volonté, il allait avec l’aide de ses porte clefs, le mettre à la porte ; M. Bédard, voyant que l’on prenait les choses au sérieux, et que contre la force il n’y a pas de résistance, dit au gardien : au moins, monsieur, laissez-moi terminer mon problème. Cette demande parut si juste au sieur Reid, le géôlier, qu’elle fut accordée d’assez bonne grâce. M. Bédard satisfait, à l’expiration d’une heure, de la solution de son problème géométrique ; s’achemina à pas lents vers sa demeure.

« Lorsque le chevalier Prevost prit en mains les rênes du gouvernement de cette colonie avant la guerre de 1812, son premier soin fut de rendre justice aux victimes de la tyrannie de son prédécesseur. MM. Panet, Blanchette, Borgia, Bédard, Taschereau, La Force et d’autres officiers de la milice canadienne, destitués par le gouverneur Craig furent réintégrés dans leurs grades et le nouveau gouverneur se fit un devoir de réparer autant que possible, les injustices de la précédente administration. Le chevalier Prevost, plein de confiance dans la loyauté des Canadiens, confia, pendant cette guerre, la garde de la cité de Québec, dans laquelle il ne restait que peu de troupes régulières, aux miliciens de la ville. Le capitaine Bédard était un des plus zélés d’entre nous, et s’acquittait avec une précision géométrique des devoirs militaires si nouveaux pour un homme de son âge et de ses habitudes. »

Il vient de paraître un livre traitant de l’origine et du développement intellectuel en Canada, écrit en langue anglaise. Nous y lisons ces lignes : « M. Bédard, qui avait été emprisonné à cause des violences de langage de son journal, ne fut pas plutôt libéré qu’il accepta une charge de juge de ce gouvernement qu’il avait tant combattu. » Voilà comment on écrit l’histoire ! Les violences de langage du Canadien étaient tout bonnement des pièces historiques exhumées à propos, et des articles solides, en réponse aux noirceurs que le Mercury débitait sur notre compte, avec une impudence incroyable même aujourd’hui où la presse est libre jusqu’au dévergondage. Les documents historiques et les explications pu-