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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

marine anglaise, par suite du blocus continental ; la flotte employée à ce commerce se retourna du côté du Saint-Laurent et, chose assez curieuse, Napoléon ne semble pas s’en être aperçu puisqu’il ne plaça aucun navire de guerre aux bouches de notre fleuve, tout en prêtant l’oreille, néanmoins, aux propositions des Américains qui lui demandaient de les aider à prendre le Canada afin de ruiner la puissance de l’Angleterre de ce côté-ci de l’Atlantique. L’état florissant de notre commerce avait commencé en 1796, alors que la Grande-Bretagne armait, de concert avec l’Autriche, contre la France, et il alla grandissant, jusqu’en 1808, comme l’indique le tableau qui suit. Durant cette période, la balance du commerce fut constamment en faveur du Canada.


Exportations 1796 1799 1802 1807 1808
Blé, minots 3106 128870 1010033 234543 186708
Farine, barils 4352 14475 28301 20424 42462
Biscuits, quintaux 3882 20535 22051 28047 32587


Une jolie page des chroniques de la vie seigneuriale en Canada, vers la fin du siècle dernier et au commencement du nôtre, a été écrite par M. L.-O. Letourneux en 1845 ; elle est parfaitement à sa place ici : « À mesure que le commerce anglais pénétrait au pays, le luxe et l’opulence de ces négociants s’introduisaient dans nos villes. Les cercles nouveaux qu’ils formaient affectaient un ton de prétentieuses richesses. Puis l’armée du pays, augmentée de plusieurs régiments depuis la révolution américaine, remplissait Québec et Montréal de fortes garnisons. Les jeunes officiers qui, pour la plupart, appartenaient, comme aujourd’hui, à de puissantes et opulentes familles d’Angleterre donnaient l’exemple des dépenses folles et excessives, de la dissipation et d’un luxe effréné ; et ces exemples ne furent que trop suivis. Nos seigneurs se lancèrent, tête baissée, dans cette voie d’imprévoyance et de folie. Ils voulurent rivaliser avec l’or anglais ; les vieux manoirs dans lesquels s’écoulait jadis une vie active et de travail, frugale et calme ; où pénétrait sans gêne aucune la simple et modeste population d’alentour, pour s’entretenir des affaires publiques et des travaux de la saison prochaine ; les vieux manoirs où la petite société du village passait de si agréables soirées d’hiver au coin du feu, à rappeler les souvenirs des guerres avec les Sauvages, à entendre raconter par un vieil habitant ou un ancien colon les mille incidents et épisodes de la vie militaire et des milices actives, si animée, si pittoresque, si accidentée dans ces temps-là, épisodes et aventures auxquels un grand nombre d’entre eux avaient pris une part importante et honorable ; les vieux manoirs où chacun des habitants de la seigneurie, venait au besoin chercher aide et secours et prendre conseil, où ils trouvaient toujours la bienveillance prompte, active, ouverte, et plutôt un devoir qu’une protection ; les vieux manoirs d’autrefois ! où vous trouviez toujours, si vous étiez Canadien et honnête homme, une hospitalité simple mais cordiale, changèrent bientôt d’apparence, et résonnèrent des éclats de fêtes brillantes et de plaisirs de toutes espèces. Les ameublements, de simples qu’ils étaient, devin-