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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

dans son voyage vers la mer du sud (le Pacifique) s’est fait accompagner par plusieurs d’entre eux : ils vient de ramener les mêmes dans un voyage qu’on croyait qu’il pousserait aussi loin que le précédent, mais qu’il bornera au dernier comptoir. Ce sont, au dire même des Anglais, qui ne les aiment pas, les meilleurs rameurs, les plus industrieux pour sortir d’embarras, les plus endurcis à la peine, les plus durs à la fatigue, les plus sobres, quoique buvant quelques fois un peu trop de rhum ; alors leur gaîté les porte au tapage, comme elle porte souvent les Anglais au morne silence… Nous avons été ramenés par des Canadiens qui, selon leur coutume, n’ont pas cessé une minute de chanter. L’un d’eux entonne une chanson que les autres répètent, et la mesure de ces airs règle le coup de rame, toujours donné en cadence. Les chansons sont gaies ; souvent un peu plus que gaies ; elles ne sont interrompues que par les ris qu’elles occasionnent et, dans toutes les navigations dont sont chargés les Canadiens, les chants commencent dès qu’ils prennent la rame et ne finissent que lorsqu’ils la quittent : on se croit dans les provinces de France, et cette illusion fait plaisir. »

M. Guillemard qui parcourut le Bas-Canada en 1795, a fourni au duc de la Rochefoucauld les notes suivantes : « La première classe parmi les Canadiens, composée des seigneurs et des hommes attachés au gouvernement anglais, haïssent la révolution française dans tous ses principes, et paraissent plus exagérés sur ce point que le ministère anglais lui-même. La seconde classe, opposée aux seigneurs et aux seigneuries, aiment la révolution française, et quant à ses crimes, ils les détestent sans cesser d’aimer la France et les Français, sans penser à la révolution et sans en rien savoir. »

Isaac Weld, visitant la province en 1799, s’exprime ainsi : « Les cinq-sixièmes des résidents du Bas-Canada sont d’origine française, la plupart cultivateurs vivant dans les seigneuries. Il y a peu d’Anglais occupés de culture qui soient établis sous des seigneurs, bien que plusieurs seigneuries appartiennent maintenant à des Anglais. Le plus grand nombre de nos compatriotes tiennent les terres qu’ils ont en vertu de certificats du gouverneur et presque tous résident dans les cantons de l’Est qui bordent le haut Saint-Laurent. Les seigneurs Canadiens ou Anglais, vivent modestement ; les seigneuries rapportent peu de revenus, quoique très grandes en général… Sauf les certificats ci-dessus mentionnés personne ne peut encore montrer un titre clair pour la terre qu’il a défrichée. Cela ne concerne naturellement que les colons Anglais, mais ils sont empêchés par là même de vendre toute ou partie des propriétés qu’ils ont défrichées et par conséquent de se refaire de leurs dépenses et de leurs travaux. On dit que le gouvernement a adopté ce moyen pour prévenir les spéculations sur les terrains… La culture est faite avec nonchalance. On ne se sert presque pas d’engrais. La charrue enlève à peine une croûte du sol et là-dedans on sème. La moitié des champs n’ont pas de clôture ; les bestiaux y paissent. Les marchands anglais demandent à présent plus de grain que l’on n’est dans l’habitude d’en récolter et il s’en suit un peu plus d’activité parmi les cultivateurs… Il n’y a guère de défrichements éloignés de plus de douze milles du fleuve. Cela vient de ce que les Canadiens n’aiment pas à s’isoler les uns des autres, et ils vont même jusqu’à morceler à l’infini la terre paternelle avant que de concéder un lot en bois debout. Ceci est tout différent de la coutume suivie dans la Nouvelle-Angleterre…