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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

quable du caractère de ce peuple est, comme je l’ai dit, l’attachement à la France qui se manifeste, plus ou moins, dans toute occasion, selon la classe de la société à laquelle appartiennent les individus, et selon que, par conséquent, ils désirent et attendent plus ou moins du gouvernement anglais… J’ai dit que les manières françaises étaient conservées dans toutes les familles canadiennes, que peu, c’est à dire à peine un Canadien sur cent, savent l’anglais ; qu’ils ne veulent pas l’apprendre ; que, parmi ceux qui le savent, presqu’aucun ne veut le parler, excepté ceux à qui leurs places imposent des rapports continuels avec le militaire… Le gouvernement anglais a, depuis la conquête de ce pays changé, avec affectation, les noms des îles, des villes, des rivières, des plus petites criques, mais les Canadiens ne se prêtent point à cette nouvelle nomenclature, et mettent, de leur côté, autant d’affectation que d’habitude à les appeler constamment par leurs anciens noms français… À Québec, il paraît que la présence du gouverneur général et la grande quantité d’officiers et de personnes employées pour l’armée donnent dans la société la prééminence au militaire ; elle est à Montréal pour le négociant… Tout ce que nous voyons des Canadiens, habitants ou matelots (voyageurs ) — et nous n’avons pas laissé que d’en voir un assez grand nombre — exprime une extrême satisfaction de retrouver des Français de la vieille France, et nous montrent un respect et une prévenance auxquels, depuis longtemps, nous n’étions plus accoutumés. Je ne puis rien dire du caractère de ce peuple chez qui nous ne sommes pas encore, mais tous ceux que nous rencontrons sont vifs, actifs, ardents, gais, chantants. La dixième partie d’entre eux ne sait pas un seul mot d’anglais et se refuse à l’apprendre ; leur figure est expressive, ouverte, bonne et je les vois avec plus de plaisir que je n’ai vu aucun peuple depuis trois ans… Le peuple canadien a conservé le caractère français ; actif, brave, ardent, il entreprend et soutient avec courage les travaux les plus pénibles, se console et se délasse en fumant, en riant et en chantant ; rien ne le dégoûte, rien ne l’arrête, ni la longueur des voyages, ni l’excès de la fatigue, ni la mauvaise qualité de la nourriture, pourvu qu’il soit soutenu par de bons propos et par quelques plaisanteries. Ce sont eux qui sont chargés de toutes les navigations. Au commencement du printemps, ils sont demandés des deux différents points des deux provinces, soit pour le service du roi, soit pour celui du commerce. L’espèce de peuple ainsi employé habite depuis Montréal, et quelques lieues en deçà (du côté du Haut-Canada, où l’auteur écrivait) jusqu’à Québec. Beaucoup demeurent à Montréal, y ont même un métier auxquels ils s’occupent l’hiver ; l’été fournit moins à ce genre de travail (les métiers) ou, bien plus réellement ils sont portés par leurs goûts à cette vie active et errante. Quelques uns sont fermiers ; alors ils laissent leurs récoltes à faire à leurs femmes et à leurs voisins ; s’ils sont ouvriers, ils ferment leurs boutiques et partent. Nous en avons rencontrés qui étaient tanneurs, selliers, bouchers, menuisiers et, nous disait-on, de bons ouvriers. Selon la nature de l’ouvrage auquel ils sont appelés, ils quittent leur pays pour l’été, ou pour une année, ou pour plusieurs ; quelques fois seulement pour la courte durée de la navigation momentanée à laquelle ils sont employés… Ils commencent à présent à servir comme matelots dans les vaisseaux du lac ; le commodore Bouchette en est très content… M. Mackenzie,