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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

terres de l’île de Montréal sont réputées les meilleures du Bas-Canada ; près des habitations, elles se vendent au plus cinq dollars l’acre ; dans l’île de Montréal vingt à vingt-quatre. Quelques fermes auprès de Québec, cultivées avec un peu plus de soin, ou ornées d’une belle maison et de bons bâtiments, sont payées beaucoup plus encore : en tout, il se vend peu de terre et par la pauvreté des habitants et par la difficulté des ventes… La culture est, dans le Bas-Canada, aussi mauvaise qu’elle puisse l’être. On n’emploie de fumier que dans les environs de Québec et de Montréal, encore n’est-ce que le fumier d’écurie, qu’il n’y a pas longtemps on jettait dans la rivière pour s’en débarrasser ; on n’y connaît pas d’autres engrais. Ce qu’on appelle les terres en culture, même sur le bord de la rivière, sont des champs défrichés d’une étendue de quarante à cinquante acres, plus ou moins, entourés de clôtures grossières, au milieu desquels sont différentes cultures par petites portions, blé, maïs, seigle, pois, prairie, mais remplissant rarement la totalité du champ enclos. Le fermier est frugal, mais ignorant et paresseux. Le gouvernement anglais ne fait rien pour encourager l’extension et l’amélioration de la culture, et il faudrait qu’il fit beaucoup, avec une grande prévoyance et une longue patience pour obtenir des succès en ce genre, car, aux inconvénients des préjugés communs aux fermiers de tous les pays, les Canadiens ajoutent une grande défiance pour tout ce qui vient des Anglais ; elle tient à leur idée constante que les Anglais sont leurs conquérants, et les Français leurs frères… Sur la route de Québec, les habitations sont quelques fois de pierrailles ou de bois, blanchies extérieurement avec de la chaux, dont le pays abonde ; mais intérieurement ces habitations sont sales, vilaines — je parle de celles du peuple canadien. Dans presque toute celles qui sont sur le bord du chemin, et où la mort du roi de France n’est plus ignorée, on voit son portrait, la gravure de ses adieux à sa famille, et son supplice avec son testament en entier. Ces images sont l’objet d’une espèce de dévotion, qui ne change rien, d’ailleurs, à l’attachement des Canadiens, pour les Français… Les mœurs anglaises pour les ameublements, les repas, etc., prévalent dans les maisons anglaises ; quelques familles canadiennes, plus riches, et tenant à l’administration, les ont aussi acceptées. Les autres familles canadiennes aisées ont conservé les mœurs françaises… La classe des Canadiens gentlemen habitant les villes est plus pauvre que celle des Anglais, que de bons émoluments ou de grandes affaires y ont amenés. Les Canadiens vivent généralement entre eux, et comme ils dépensent moins que les Anglais, ceux-ci leur prêtent le caractère d’avarice et de vanité — que les autres leur rendent d’une autre manière sans doute. Les négociants anglais sont riches et sont ce qu’ils appellent hospitaliers… Il est peu de nations le crime soit plus rare que parmi les Canadiens ; jamais de meurtres ; très rarement de vols. Le peuple est d’ailleurs ignorant, mais cette faute appartient plus au gouvernement qu’au peuple lui-même. Elle est même volontaire dans le gouvernement qui s’en fait un principe. Peu ou point d’écoles ; point de collèges en Canada ; d’où il arrive aussi que le Canadien, même le plus riche, est mal élevé ; peu savent l’orthographe ; un moindre nombre encore ont de l’instruction, quoique quelques uns d’eux soient employés dans la législature de la province. Mais ce sont les Anglais de qui je tiens cette information, et ils ne sont pas tout-à-fait croyables sur ce qu’ils rapportent des Canadiens, parce que le trait le plus remar-