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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

bien qu’ils fussent sujets de l’Angleterre. M. Papineau observa que, quoique le Canada fit partie de l’empire britannique, il ne s’en suivait pas qu’un Canadien qui n’entendait pas la langue anglaise dut être privé de ses droits. » Cette question avait déjà occupé le cabinet de Londres ; en 1791, lord Granville formulait nettement son idée sur le sujet : « On a appelé préjugé l’attachement des Canadiens à leurs coutumes, à leurs lois et à leurs usages, qu’ils préfèrent à ceux de l’Angleterre. Je crois qu’un pareil attachement mérite un autre nom que celui de préjugé. Selon moi, il est fondé sur la raison et sur quelque chose de plus élevé encore que la raison — sur les sentiments les plus nobles du cœur humain. » Enfin les partisans de la langue française l’emportèrent par le nombre et non pas par la persuasion, car les Anglais affichaient une résolution inébranlable de combattre la nationalité française sur tous les terrains.

De 1792 à 1796, durée du premier parlement, la chambre basse s’occupa des sujets suivants : 1792-93 — l’instruction publique ; le droit que devait avoir cette chambre de proposer tout projet de loi entraînant la dépense des deniers publics ; l’abolition de l’esclavage ; la subdivision de la province en districts judiciaires ; déclaration de guerre de la France ; le droit de la chambre de voter seule les subsides, ce qui amena l’antagonisme entre elle et le conseil législatif ; taxes sur le vin ; 1793-94 — organisation de la milice ; administration de la justice ; insuffisance du revenu pour parer aux frais du gouvernement en général ; division de la province en trois districts ; Québec, Montréal et Trois-Rivières et Gaspé comme district inférieur ; inviolabilité des membres de la législature ; 1795 — sentiments de fidélité à l’égard de l’Angleterre, par opposition à ce qui se passait en France ; admission du public dans les galeries de la chambre durant les débats ; quarantaine des navires comme mesure d’hygiène ; proportions afférentes des revenus, tant pour le Haut que pour le Bas-Canada ; loi des ponts, routes et chaussées ; taxes sur l’eau-de-vie, le sucre, la cassonnade, le café, le sel et le tabac ; émigrés français ; 1795-96 — exportation des céréales ; étrangers suspects ; unification de la monnaie ; chemins publics et corvées ; traite des fourrures du Haut-Canada et mode d’engagement des hommes employés dans ces opérations ; création de cours sommaires dans les trois districts ; loi de milice.

La plus grande surprise qu’éprouva le parti anglais lui vint de cette instruction supérieure dont nos chefs politiques donnèrent des preuves immédiates à l’ouverture des débats. Dans l’art de la parole, Papineau, Bédard, Panet, de Lotbinière, Rocheblave, de Bonne, étaient passés maîtres et si l’on consulte les procès-verbaux de la chambre on voit que la députation française éclairait tout de ses lumières. Les Anglais n’ont guère déposé sur la table du greffier de motion dont ils puissent s’énorgueillir aujourd’hui ; au contraire, nous osons dire que leurs productions en ce genre attestent de leur ignorance en matière de législation ou d’une confiance inexcusable dans le bras des gouverneurs lesquels, on le sait, n’étaient que trop disposés à recourir à l’arbitraire.

La Gazette de Québec sortit quelque peu de sa torpeur. En 1792 parut le Magasin de Québec et en 1794 Le Cours du Temps, surtout littéraire ; le journalisme militant demandait pourtant à naître. Les Canadiens-Français faisaient assez bonne figure en