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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

perfidie, jalousie et mauvaise foi ceux qui ne disent pas toujours et toujours comme elles. Exploitant les préjugés du bas peuple, elles se dardent à travers les mots de religion et de catholicisme et ainsi escortées ne respectent plus ni citoyen honorable, ni prêtre, ni évêque, ni pape. Dans cette mêlée qui paralyse nos forces nationales, un jeune homme n’ose pas se risquer. Les intimidateurs ont table rase. Qu’ils se dévorent entre eux, c’est à demi mal, mais qu’ils fassent la loi au pays, c’est trop fort ! Peut-être le remède viendra-t-il de la crise elle-même ; espérons-le, car le peuple finit toujours par se lasser.

Depuis 1870, à peu près, la littérature canadienne-française n’a guère produit de nouveaux écrivains. La faute en est à la situation de la presse et au manque de libraires. Nous sommes fatigués d’écrire des livres, de les imprimer à nos frais et de les colporter nous-mêmes. Il y a dans la province de Québec trois mille lecteurs disposés à acheter des livres à tous prix — mais il n’existe pas de maisons de commerce qui les place. Par suite la littérature ne se vend pas — et les auteurs renoncent au métier.

Sous prétexte d’encourager notre littérature, le gouvernement de Québec donne en prix aux élèves des écoles et des collèges certains ouvrages de Parent, Taché, Garneau, Sulte — mais il les achète de trois ou quatre spéculateurs qui remplacent, pour cette fin utile, les auteurs, auxquels on ne demande que du travail, du talent et du patriotisme. L’excès en tout est un abus : on s’en apercevra un jour. Les auteurs volés ne feront pas de tapage — mais il y a du sens moral dans la population ; il suffit de l’éveiller.

La société Royale du Canada, formée en 1882, compte quatre-vingts membres, sur lesquels vingt-six Canadiens-Français. C’est une taxe imposée à nos écrivains, attendu qu’ils font tous les frais de travail et de déplacement. Le gouvernement imprime les articles acceptés — mais la moindre de nos gazettes en ferait autant au même prix : zéro. Tâchons que la section canadienne-française entreprenne un glossaire de notre langage, et alors nous aurons au moins fait quelque chose pour l’honneur sinon pour l’argent. Dans le recueil de la Société on devrait publier des travaux concernant les points disputés ou restés obscurs dans notre histoire écrite. C’est là une mine inépuisable. Aux yeux des Anglais, le passé du Canada jouit d’un prestige extraordinaire : faisons-le connaître de plus en plus. Un légitime orgueil attire notre attention de ce côté. Ceux d’entre nous qui ne se consacrent pas à la politique militante et qui aiment l’étude ne sauraient mieux choisir. Sur les vingt-six Canadiens-Français de la Société Royale, il y a huit ou dix savants — les autres sont des littérateurs — à ceux-ci la tâche de fouiller nos archives.

Le domaine de l’histoire du Canada a été parcouru en tous sens, depuis un demi-siècle. Les grandes lignes sont aujourd’hui tirées. Il serait inutile d’y revenir. La nouvelle génération de nos écrivains n’a d’autre ressource que d’étudier plus profondément nos archives et d’en extraire les nombreux faits de seconde ou troisième importance que les historiens ont dû négliger ou qu’ils n’ont pas connus. L’époque de Haldimand, par exemple, demande une investigation. C’est par le groupement de nombreuses notes égarées dans les manuscrits, c’est par leur comparaison avec le dire de Bibaud, Garneau et autres que la lumière complète se fera sur cette page restée à peu près obscure. Mais les grandes lignes nous le répé-