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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Depuis un siècle, nous ne faisons rien sans le consulter. Il a traversé avec nous les temps difficiles. Aujourd’hui, sa récompense consiste dans la satisfaction du devoir accompli et dans le bien-être matériel qu’il possède plus que n’importe quel clergé au monde. Cette dernière situation l’a amolli. Des influences néfastes se sont produites et lui, sans défiance, les a laissé agir. Dès que nos crises politiques avec l’Angleterre ont été terminées, il est venu s’établir au milieu de nous plusieurs branches du clergé qui, toutes, lui sont hostiles. Les jésuites, revenus il y a quarante ans, ont mis une constante application à se faire place au détriment du clergé national. Ils y sont parvenus, grâce à leur adresse hors ligne et à l’absence d’instruction chez les prêtres canadiens. Ceux-ci sont à présent refoulés dans les campagnes. Ils ne gouvernent presque plus rien dans l’église du Canada. En même temps, les anciennes scènes de discordes ecclésiastiques recommencent. Les ordres religieux étrangers soufflent la chicane partout. On se croirait revenu aux tristes époques de 1645 à 1730. Rien n’est moins uni que le clergé catholique de la province de Québec. C’est chaire contre chaire, journaux contre journaux, cabale contre cabale. Les évêques se querellent ; chacun a ses partisans ; c’est à qui en appellera à Rome. Ni de tête ni de queue. Tout frétille et se combat. Celui-ci a des « principes » ; cet autre en a qui sont différents. Pour comble de misère, il nous arrive chaque année des représentants de nouveaux ordres religieux qui s’implantent, prennent parti avec tel ou tel, et ne relèvent que de leur « général » fixé en Europe. Dans tout cela, le clergé national fait mince figure. Les jésuites prospèrent.

L’instruction publique n’est point dans la province de Québec « ce qu’un vain peuple pense » ; elle consiste surtout à empêcher l’instruction libre. Il est toujours permis à un élève sortant de ne pas savoir les choses les plus simples — mais il est bourré de phrases et de prétentions, et il sait par les rapports officiels que le peuple canadien est le plus instruit du monde.

La jeunesse canadienne est apte à toute chose. Son intelligence naturelle, sa souplesse, sa dextérité sont reconnues. L’instruction lui manque. Le plus savant de nos collégiens ne sait ni la grammaire ni l’arithmétique et il ignore à peu près tout ce qu’il lui faudrait savoir pour bien gagner sa vie. On élève ainsi les enfants des pauvres — et nous sommes tous pauvres, c’est notre lot actuellement — comme des fils de grands seigneurs. Il en résulte que nous tâtonnons et que nous trouvons la vie bien amère, jusque vers la trentième année, époque où l’enthousiasme du jeune âge s’émousse et porte les désappointés vers la paresse et l’indifférence.

Si l’instruction publique était calculée pour fournir aux Canadiens le moyen de gagner leur vie, personne ne s’en plaindrait. Nos collèges sont gouvernés par des influences qui travaillent dans un but unique : faire des prêtres ou des hommes de profession. On oublie qu’il reste une masse de jeunes gens dans l’ignorance de ce qu’ils devraient apprendre. Le milieu où nous vivons exige maintenant que chacun puisse se suffire à lui-même. En n’y pourvoyant pas, nous serons distancés par les autres races — nous le sommes déjà !

La presse canadienne-française s’occupe exclusivement de politique. Ici et là, un article de science ou d’histoire apparaît, noyé dans les écrits de la rédaction ordinaire. Si l’auteur