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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

groupe étant le plus important et leur idiome possédant des conditions de vitalité à un degré qui ne se voit pas ailleurs dans le Nouveau-Monde.

Il ne tient qu’à nous de conserver et d’étendre ici la langue française. Les deux plus grands obstacles que nous ayons rencontrés à cet égard n’existent plus. 1o les traités et la constitution nous en garantissent l’usage, 2o l’élément anglais s’est augmenté au point de dominer partout il est vrai, mais sans réussir à nous entamer. Que devons-nous faire, à présent pour ne rien perdre de ces précieux avantages, et pour leur donner plus de valeur ? Étudier la langue, la parler avec précaution, surtout dresser les enfants à la bien prononcer. C’est assez facile, mais on ne le fait pas, et c’est là qu’est le péril actuel.

Les arguments dont on se sert pour nous prouver que le français va périr chez nous, sont insoutenables. Ce qui est plus étrange, c’est que nous ne voyons pas le seul danger sérieux, immédiat qui nous menace : l’ignorance, la négligence, la paresse d’esprit. Ne nous payons pas de grosses raisons, ne dressons pas d’épouvantails — cette manœuvre n’appartient qu’à ceux qui veulent excuser leurs fautes. Envisageons fermement la situation et réparons par un peu de travail le mal que la négligence nous a causé. Nous sommes de la race des Gaulois qui tenaient les nations enchaînées par leur langue. Un pareil souvenir ne doit pas être oublié.

Il y a une vingtaine d’années, un Français qui visitait le Canada, écrivait : « L’esprit canadien est resté français ; seulement on est frappé de la forme du langage qui semble arriéré d’une centaine d’années. Ceci n’a certes rien de désagréable, car si les gens du peuple ont l’accent de nos provinces, en revanche, les gens du monde parlent un peu comme nos écrivains du xviie siècle, et cela m’a fait une telle impression dès le premier jour, qu’en fermant les yeux je m’imaginais être transporté dans le passé et entendre causer les contemporains du marquis de Montcalm. »

Nous serions curieux de voir ce que pensent de ce texte, et de quelques autres semblables que nous avons cités, les évêques et les prêtres des États-Unis qui ont déclaré la guerre à notre langue dans les paroisses où nos gens forment ou la majorité ou une minorité notable. Ces persécuteurs d’un nouveau genre affirment avec un aplomb superbe que nous parlons un jargon incompréhensible et ils nous refusent des curés de notre langue. Heureusement il y a des « Canadiens » aux États-Unis ! Ils agitent plus que jamais la question du clergé national, en réponse aux attaques et aux agissements des curés de langue anglaise. Là comme ici, ceux qui cherchent à nous faire disparaître, à nous absorber dans leur élément, à nous « assimiler, » en un mot, dirigent leurs coups sur le langage de nos compatriotes. Même chose dans le Nouveau-Brunswick au sujet des Acadiens. Mais Canadiens et Acadiens résisteront à l’influence de ce clergé désagréable. Pour ne citer que deux hommes — qui ne sont pas les seuls de leur trempe, Dieu merci — MM. Gagnon et Robidoux, l’un au Massachusetts, l’autre au Nouveau-Brunswick, combattent avec force et courage les menées de nos adversaires : ils auront le dessus là-bas, comme nous l’avons ici.

Le clergé canadien-français s’est formé après la conquête, alors que le clergé français nous abandonnait. Son intérêt, la communauté d’origine, de langue et d’idée nationale, en ont fait un corps intimement lié à notre existence comme peuple français en Canada.