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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

L’Angleterre se demande avec anxiété si ses colonies vont lui rester fidèles. Pourquoi non ? Tout est aujourd’hui alliance, moyennant échange d’intérêts. Entre la soi-disant mère patrie et ses enfants l’entente est facile, vu que ses enfants savent se gouverner et ne sont nullement rebelles à une alliance avec les vieux parents. Les Canadiens-Français ne désirent pas mieux que de voir se continuer le régime actuel, quitte à lui faire subir des changements, d’accord avec les besoins qui surviendront.

La fédération des colonies anglaises sera possible, le jour où l’on trouvera autre choses que l’absorption des provinces dans un grand tout appelé le cabinet de Londres. Nous voulons bien donner, à condition de recevoir. Ni les Anglais de l’Australie, ni ceux du Canada ne se laisseront couper l’herbe sous le pied. Les Canadiens-Français non plus.

De l’aveu de tous les hommes qui s’occupent de politique, les Canadiens-Français de la province de Québec sont antipathiques à l’annexion du Canada aux États-Unis. Ceci est chez eux traditionnel. Le grand nombre de nos compatriotes qui, depuis longtemps, mais surtout depuis un demi siècle, a émigré au Massachusetts, au Connecticut, au Rhode-Island, au Maine, ne change absolument rien au sentiment dont nous parlons ici. C’est à peine si les Canadiens fixés aux États-Unis comptent dans leurs rangs quelques annexionnistes.

L’avenir n’a jamais été pour nous aussi rassurant qu’aujourd’hui. Une longue paix, qui semble devoir durer, nous fortifiera davantage. Notre nombre, en augmentant, fera de plus en plus sentir son influence. La force d’expansion, voilà notre arme ! Si nous avons le soin de maintenir la langue française au cœur des groupes qui se détachent du corps principal et qui, d’année en année, s’avancent, à travers des territoires nouveaux, rien ne pourra nous affaiblir — au contraire nos ressources augmenteront. Nos croyances religieuses ne sont pas en danger ; elles ont des racines au plus profond de notre être, et le clergé se charge d’y veiller. Mais qui protège la langue ? Elle se protège toute seule dira-t-on. Ce n’est pas assez. Nous devrions l’entourer de respect, la parler avec amour, avec science, avec force, en étudiant ses milles ressources. Si jamais il y a une France américaine, elle sortira de notre milieu. Nos couvents et nos collèges n’y songent pas suffisamment. Ce n’est pas que nous ayons peur de la langue anglaise, oh non ! Les Canadiens sont trop nombreux à présent pour changer de langage — mais il nous faut parler le français brillamment, en faire, un sujet d’orgueil, notre gloire en un mot. Les conquêtes de l’avenir nous seront par là assurées. Nous sommes incontestablement des hommes doubles, car nous avons deux nationalités, mais la première est canadienne, et celle-là parle français ! C’est notre moyen de résistance, c’est notre place forte. En veut-on une preuve ? Voyons ce qui se passe sous nos yeux. Toutes les attaques et les combinaisons dirigées contre notre groupe visent à l’amoindrissement de la langue française. C’est l’adversaire qui nous signale ainsi le point vulnérable de nos retranchements. Doublons les sentinelles en cet endroit et plaçons-y une troupe d’élite.

Quelle sera la destinée de la langue française dans l’Amérique du Nord ? Va-t-elle s’affaiblir et disparaître, ou bien sera-t-elle un jour considérée comme le français l’est en Europe ? Dans un cas comme dans l’autre, la responsabilité incombe aux Canadiens — leur