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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

gloire d’être anglaises. Le mot composé Canadiens-Français date de la présente génération, parceque les Anglais ont enfin adopté l’idée que ce pays du Canada n’est point l’Île de Robinson. Pour nous désigner maintenant et ne pas nous confondre avec ceux qui parlent l’anglais de préférence, on dit Canadiens-Français — French-Canadians.

Sous le rapport de l’instruction et des talents littéraires, le progrès était de tous les jours. Après 1850, la tranquillité résultant du règlement des questions politiques fondamentales, avait activé chez nous l’amour des livres. Nos écrivains abordèrent une foule de sujets négligés jusque là. Nous eûmes des articles, des brochures, des volumes dans tous les genres. La Société Historique de Montréal, fondée (1857) par M. Jacques Viger, a ouvert un champs tout nouveau aux études historiques. Sir Louis-Hyppolite Lafontaine y a beaucoup travaillé ; M. l’abbé Hospice Verreau également. Plusieurs journaux très bien rédigés commencèrent à paraître vers 1858-64. L’instruction publique se développait avec ardeur. Les Soirées Canadiennes virent le jour en 1860 ; le Foyer Canadien en 1863 ; la Revue Canadienne en 1864, et d’autres publications très remarquables pour un jeune pays. Crémazie publiait ses plus belles pièces. Fréchette et Lemay se montraient ses dignes émules. Gérin-Lajoie écrivait Jean Rivard. L’abbé Casgrain lançait coup sur coup d’excellents ouvrages, très bien reçus. Chauveau rédigeait avec bonheur le Journal de l’Instruction Publique. Fabre donnait au style du journalisme la forme littéraire de la jeune France qui lui avait manqué jusque-là. J.-C. Taché composait des récits pleins de souvenirs historiques et enlevés avec une verve toute française. Enfin une pléiade de jeunes gens s’exerçaient dans les revues et les journaux, comme pour rassurer les anciens qui avaient quelque peu redouté de voir la politique absorber toutes nos intelligences.

Entre Bibaud qui est assez peu renseigné sur les origines de la colonie ; Faillon qui fait tout remonter à Montréal ; Charlevoix trop sec et arrêté à 1725 et d’ailleurs peu répandu ; Garneau dont l’esprit effarouche certaines personnes, M. l’abbé J.-B.-A. Ferland crut qu’il y avait place pour un ouvrage bien nourri de détails et particulièrement favorable au clergé. Son premier volume, qui se termine à l’année 1663, est bien fait et se lit avec plaisir. La mort a surpris l’auteur (8 janvier 1864) avant qu’il eût eu temps de mettre au net ses notes allant jusqu’à 1760, de sorte que ce second volume est assez peu exact, mais on ne lasse point de le consulter avec profit. Ceux qui dirigent l’instruction publique l’ont partout recommandé à la jeunesse de préférence à Garneau — cependant Garneau est et restera notre historien national. Il est plus large d’idées que M. Ferland, son livre est mieux ordonné, et il nous amène jusqu’à 1840 — quatre-vingts ans plus loin que l’autre.

L’attachement que les Canadiens-Français ont montré jusqu’ici pour leur langue donne lieu d’espérer que nous ne les verrons jamais la mettre en oubli. Un écrivain, qui a beaucoup voyagé, disait : « Savez-vous en quel pays on parle le meilleur français ? Je vais vous le dire : chaque province de France prétend avoir droit à la palme, à cet égard. Paris, qui n’a pas qu’un langage, mais qui en a cent, ne veut pas souffrir de rivalité. Les Suisses sont très fiers de parler le plus pur français du monde. Leur prétention est cependant balancée par les Belges, qui se piquent d’avoir atteint la dernière limite du genre. Dans l’Amérique du Sud, la