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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

bli constatant le chiffre que représentait chaque rente capitalisée, et on dit aux habitants : « payez selon la coutume, la petite somme annuelle, ou si mieux vous aimez, versez au seigneur telle somme qu’il sera obligé d’accepter et qui vous libérera à jamais. » En règle presque générale, les cultivateurs n’ont pas voulu s’acquitter du capital, de sorte qu’ils continuent de payer la rente, d’ailleurs très minime, imposée par les anciennes lois françaises. Au milieu des pourparlers qui ont régnés dans tout le pays, de 1845 à 1863, sur cette question délicate, il ne s’est pas manifesté de désordre, sauf un charivari dirigé contre un seigneur qui se montrait exigeant.

M. Cartier conçut en 1857 l’idée de fondre dans un code unique les lois civiles qui régissaient le Bas-Canada et dont le grand nombre constituait un fouilli dans lequel se perdaient les avocats. Il eut à soutenir une lutte formidable pour arriver à son but. Notre code est l’un des plus parfaits qui existent et le public s’en trouve aussi bien que de la décentralisation judiciaire qui de 1849 à 1858 souleva tempête sur tempête. Un autre bill de M. Cartier introduisit les lois françaises dans les cantons de l’Est, faisant cesser l’anomalie qui résultait de l’existence de deux sortes de lois, car jusque là les tribunaux avaient eu recours à volonté aux lois anglaises ou françaises.

Pour répondre aux besoins de la justice M. Cartier fit passer (1857) son bill de décentralisation qui donna lieu à des débats acharnés et savants. À cette époque, l’auteur de tant de mesures importantes était devenu l’homme de la situation. M. John A. Macdonald forma avec lui une administration dans laquelle M. Cartier, joua le rôle principal ; tous deux se sont maintenus au pouvoir jusqu’à 1873, sauf quelques interruptions de courtes durée, causées par les victoires des libéraux en 1858,1862-1863. Ce long règne d’un même parti atteste ou de l’habilité de ceux qui la dirigeaient ou d’une conformité d’idées bien complète avec les deux provinces. On prétend que la clef de voûte du parti conservateur (les bleus) durant ces quinze ou seize année a été constamment dans la main des Canadiens-Français, dont la fidélité à leur chef renversait sans cesse les combinaisons du parti anglais jaloux de John.-A. Macdonald, ou des rouges, réformistes, grits, libéraux, démocrates et autres qui luttaient contre ce dernier et contre Cartier. Toute une phalange d’hommes de talent supportait M. Cartier. Son adversaire, M. A.-A. Dorion, était également bien secondé. Pour nous qui ne voyons dans l’histoire que la part réservée à nos compatriotes ce fait est un sujet d’orgueil légitime. À la grande école où se débattaient les intérêts d’un vaste pays, les Canadiens-Français ont su briller autant que les meilleurs Anglais. Point d’infériorité. Même puissance intellectuelle, même abondance de renseignements, même éloquence. Si nous étions perdants à la comparaison, chacun de nous en serait profondément humilié — mais parmi ceux qui nous ont mené la guerre, nulle parole digne d’attention ne s’est élevée pour se plaindre de notre faiblesse sous ce rapport. Il est acquis à la vérité historique et reconnue que nous ne sommes inférieurs à nul race et même que l’adresse si nécessaire en politique, est un don ajouté à notre tempéramment.

Antoine-Aimé Dorin, né à Sainte-Anne de la Pérade, le 7 janvier 1818, d’une famille établie depuis cent trente ans à cette époque, fut admis au barreau en 1842. Il faisait partie