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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

bien le comprendre. En effet, c’est la langue qui caractérise un peuple. Nous en sommes un exemple frappant entre tous. Nos mœurs et coutumes se sont transformées par l’effet du climat d’abord, ensuite au contact des populations étrangères ; mais nous sommes restés ce que nous étions à cause de la langue. La religion catholique n’est pas notre première sauvegarde, puisque les Irlandais, qui sont partout nos adversaires, ne nous en tiennent pas compte tout en étant catholiques eux-mêmes — mais nous sommes restés catholiques à cause de la langue. Le commerce canadien n’a pas contribué à nous fortifier sous le rapport purement national, puisqu’il est conduit à l’anglaise, mais nous avons conquis notre place dans les comptoirs à cause de la langue. Partout où nous laisserons amoindrir l’influence de notre langue ; partout où nous négligerons de la faire valoir, nous perdrons du terrain. C’est le camp retranché, la ressource suprême, la vieille-garde de notre nationalité. Autour d’elle se concentrent les meilleures phalanges. Elle disparue, nous n’avons plus de drapeau. Soyons des Anglais parlant français comme disait sir George-Étienne Cartier, mais parlons français !

Favorisés par les banquiers d’outre-mer, les Anglais du Canada ont longtemps tenus dans leurs mains tout le commerce du Canada. Vers 1836, quelques Canadiens, M. Joseph Masson, le premier, commencèrent à s’émanciper de cette suggestion. Comme il fallait utiliser des ressources très minces et créer une classe d’hommes qui n’existait pas dans notre milieu, le travail fut lent, difficile, ingrat même. Graduellement, des maisons canadiennes surgirent de place en place — mais le coffre-fort restait au pouvoir des Anglais. On parla de réunir des capitaux, de former une banque. La chose s’exécuta, avec peine et misère. L’argent n’abondait point, d’ailleurs, les comptoirs anglais luttaient savamment contre cette innovation. Nos compatriotes, inspirés par nos adversaires peut-être, ou par ce besoin de se déchirer qui saute aux yeux de tout le monde, ouvrirent trop de banques. Elles ont été en se multipliant jusqu’aujourd’hui et en se nuisant les unes les autres. Cependant, il y a progrès, si l’on compare la situation présente avec celle de 1840 : nous ne sommes plus autant à la merci des étrangers.

En 1844, dit M. Rameau, la population française du Bas-Canada était de 524,307 âmes, ayant augmentée de 144,000 âmes depuis 1831. Si l’on tient compte de 40,000 âmes parties durant ces treize années, pour les États-Unis et le nord-ouest, on arrive au chiffre de 184,000 âmes d’augmentation, soit 3.20 par cent par année. « Cette population était ainsi répartie : 198,000 qui habitaient au nord du Saint-Laurent, y compris le comté de Vaudreuil ; 264,000 dans la région riveraine du Saint-Laurent au sud, y compris Montréal et tous les comtés de la rivière Richelieu ; 19,000 dans la région sud-est-est du Canada, composée des townships organisés par le gouvernement anglais et située entre la région précédente et les frontières du Vermont et du Maine (États-Unis) ; 43,500 dans la région située à l’extrémité est du Canada, sur l’embouchure du Saint-Laurent et sur le golfe. Quant à la population anglaise, elle se montait à cette même époque, dans le Bas-Canada, à 157,600 âmes ainsi distribuées : — Au nord du Saint-Laurent 49,920 ; principalement dans la ville même de Québec, il y en avait 22,000 dans le comté des Deux-Montagnes 9,000 ; dans celui d’Ot-