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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

rester spectateur au parterre et siffler si on le voulait, mais pourquoi monter sur la scène ?

Il sera toujours facile de fermer la bouche aux « volontaires » de 1837-38. Qu’on leur dise : « Vous combattiez pour le maintien d’un régime impossible, mais que vous trouviez bon ; vous êtes les premiers aujourd’hui à vous prévaloir des bienfaits de celui qui l’a remplacé — précisément celui que demandaient les « patriotes ». Tout est là. Les volontaires sont dans la situation, si souvent répétée en plusieurs pays, de partisans politiques vivant avec bonheur sous un ordre de choses qu’ils ont repoussé au début. Leurs carabines sont de trop dans le paysage.  »

Répétons-le pour être bien compris : l’insurrection de 1837 ne pouvait rien entraîner autour d’elle. Ses forces étaient nulles. Son programme indéfini : il n’y perçait que le mécontentement. Mais les districts de Québec, des Trois-Rivières et une grande partie de celui de Montréal aussi étaient mécontents, sans aller toutefois au point de se casser la tête contre le mur ! Dans le district de Montréal, les comtés de Richelieu et des Deux-Montagnes, l’un au sud, l’autre au nord, furent seuls à prendre les armes — et encore pas tous les habitants de ces deux circonscriptions, il s’en faut. Un soulèvement disloqué, partant de deux points éloignés qui ne s’entendaient même pas ensemble, voilà toute l’affaire. La répression a été trop brutale, trop hors de proportion avec le mouvement lui-même ; c’est ce qui donne à ces événements un caractère agrandi et dont la légende veut s’emparer à présent. Le second combat de quelque importance eut lieu à Saint-Eustache. Les Canadiens agissaient là sans ordre, sans prévoyance. Au premier choc, ils se réfugièrent dans l’église et attendirent les effets du canon dirigé contre eux. On discute sur leur bravoure — que personne n’a contestée dans les rangs anglais — mais les Canadiens sont braves de naissance — seulement ils n’ont jamais été aussi mal commandés qu’à Saint-Eustache, où Chénier, leur chef, un mangeur de feu, n’avait pris aucune mesure pour s’assurer la victoire. Honneur à ceux qui payent de leur sang des convictions politiques. Reste à savoir s’ils devaient aller si loin.

Dans le comté de Chambly, deux ou trois paroisses prirent part à la résistance, avec un insuccès complet.

Tous les patriotes armés du district de Montréal ne dépassaient pas cinq cents. Les troupes anglaises allant de place en place, promenaient la torche incendiaire parmi les populations consternées. Répression barbare, vengeance qui a fait des martyrs d’une foule de personnes mal dirigées et souvent étrangères au soulèvement.

Si comme on le prétend, M. Papineau avait reçu des espérances des États-Unis, ses calculs se trouvèrent dérangés en 1837 lorsque surgit la plus forte crise financière dont la république voisine ait éprouvé les atteintes depuis un siècle. Ce contre-temps arrivait on ne peut plus mal à propos pour les insurgés. Les banquiers anglais tenaient à la gorge le commerce américain et celui-ci était plus occupé à se défendre sur ce terrain qu’à fraterniser avec quelques colons de l’Angleterre soulevés dans cinq ou six paroisses du Canada. Tout, dans les affaires de 1837 s’explique par des règles de proportion : prise d’armes, alors que les armes font défaut ; soulèvement national, alors que la nation ne veut pas se soulever ; attente de se-