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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

masse de la société, gouvernent le pays et sont à apprendre la leçon qu’enseigne cette pratique. En attendant, les marchands anglais gonflés d’indignation à la vue de leur propre manque de pouvoir, ne s’exercent à aucune autre école que celle de l’agitation et des remontrances. Ici, ainsi que je vous l’ai fait remarquer dans une précédente lettre, ils sont très entendus, mais bientôt ils seront plus propres à troubler un gouvernement qu’à le diriger, tandis que leurs rivaux, il faut l’espérer, pourront constamment faire des progrès. Dans ce but désirable toutefois, les institutions municipales du Canada devraient être beaucoup plus étendues ; les Canadiens, devraient occuper des postes officiels plus importants, et l’on devrait n’épargner aucun effort pour les accoutumer au sage emploi de ce pouvoir qu’ils sont inévitablement appelés à exercer comme grande majorité de la société, à moins qu’on ne les prive des institutions anglaises. Je ne doute pas que les habitants anglais finissent par acquérir une importance suffisante pour s’assurer d’une part plus qu’égale d’influence publique, et je ne souffrirais pas non plus qu’ils fussent opprimés dans l’intervalle. Tout ce que je maintiens est ceci : puisque les Canadiens-Français doivent dominer maintenant, il vaut beaucoup mieux s’efforcer de leur donner les qualités voulues pour le pouvoir que de chercher vainement à les exclure.

« L’administration de lord Aylmer[1] fut, j’ai le chagrin de le dire, peu sage sous ce rapport pendant la dernière période de son gouvernement. Les nominations et recommandations des derniers douze mois furent impardonnables, et il est de ses dépêches sur ces points que je puis à peine lire avec patience, maintenant que je comprends les caractères réels des individus. La vérité est que bien qu’aimable et voulant le bien, il se laissa aveugler par le préjugé vers la fin de son administration, et il n’y eut jamais de mesure plus indispensable que celle de son remplacement. Vous savez qu’il y a environ un an je pensais différemment, et c’est pour cela même que je fais maintenant cet aveu avec plus de force. Vous ne devez pas supposer que je comprends tous les Canadiens-Français dans ce que j’ai dit des dispositions amicales et du jugement de certains d’entre eux. On connaît le préjugé de Papineau contre l’Angleterre et les Anglais, et je continue encore à craindre que quelle que soit l’intelligence des autres, ils ne trouvent parmi eux assez d’éloquence et de vigueur pour contrôler les excès de cet homme énergique. Cependant les hommes modérés ont certainement remporté quelques avantages à cette session-ci. Le simple fait d’avoir procédé aux affaires est en lui-même une victoire, car Papineau voulait ouvertement refuser d’avoir une session jusqu’à ce que la demande faite par le peuple d’un conseil électif eût été accordée. Le ton soumis et tolérant de la réponse au discours du gouverneur est encore une marque de respect pour les idées de la partie modérée de l’assemblée. Tous les jours on s’aperçoit d’une plus sensible opposition d’idées entre les députés du district de Québec et ceux du district de Montréal ; je fais des vœux seulement pour que la séparation ne soit pas précipitée, car les représentants de Québec ont beaucoup plus de pouvoir — tant que leurs collègues espèrent garder l’apparence de leur appui — qu’ils n’en pourraient avoir comme minorité déclarée agissant

  1. Il venait d’être rappelé en Angleterre.