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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

les dépositaires du pouvoir représentatif ont à peine assez de caractère pour s’opposer les uns aux autres et ainsi se modérer mutuellement.

« Maintenant que j’ai exposé le plus haut point auquel je puisse partager les idées du parti anglais, j’ajouterai, sans hésiter un instant, que je ne vois pas de raison suffisante pour suivre ces idées jusqu’à leur seule conclusion légitime (et elles ne sauraient en avoir d’autre), qui est de priver les Canadiens-Français du libre exercice de leur constitution. 1. Il y a l’objection évidente de l’odieux et du danger possible qu’offrirait cette tentative. 2. Passant de ce modeste ordre d’objection à une question de principe et de sentiment, j’aurais horreur, à moins que ce ne fût dans la dernière nécessité, d’infliger à un peuple la perte d’institutions destinées à développer son énergie et son intelligence. Il s’en faut que l’on en soit à cette nécessité dans le Bas-Canada. Au contraire, je ne vois aucune raison quelconque de désespérer que les Canadiens Français apprennent à exercer discrètement leurs privilèges. Ce n’est que récemment qu’ils sont arrivés à connaître et sentir leurs pouvoirs, et déjà les hommes les plus expérimentés du pays admettent qu’il y a progrès. J’ai arraché cet aveu de plus d’un membre de l’association nommée à tort constitutionnelle. Les événements des deux dernières années auront beaucoup contribué à faire l’éducation des Canadiens-Français dans la politique…

« Voici donc quel est le résumé de mon credo : — Se concilier les Canadiens-Français et les former dans l’art de gouverner, est la politique la plus sûre et la plus convenable pour le présent, et aussi celle qui conduira le plus à des avantages solides et durables dans l’avenir ; mais il est probable que l’essai sera entravé par la perversité et l’égoïsme de différents côtés, et que, dans la mêlée, il en est parmi nous — actuellement employés en Canada — qui pourront perdre leur réputation. Soit ! Je puis dire en toute vérité que du moment où je me suis vu réellement entré dans ce vaste champ j’ai fait bon marché de toute opinion personnelle, et jusqu’ici plus la tempête a menacé à l’approche de la session, et plus grandes ont été les rumeurs d’alarme, plus mon courage a grandi. C’est pour cela que nous sommes venus dans le pays, et il faudra vraiment que les choses aillent bien mal pour que je perde ma quiétude d’esprit…

« Il est étonnant de voir combien ce pays a été mal gouverné. Après être arrivé à connaître les hommes (les Canadiens-Français) que les gouverneurs militaires d’ici ont eu l’habitude de regarder comme guère mieux que des traîtres et guère plus sages que des enfants, je suis surpris de voir, 1°, sur quelles bases amicales leurs idées reposent généralement, et, 2°, combien leurs perceptions en science politique sont supérieures à celles des hommes par qui ils ont été si arrogamment méprisés. L’autre jour, j’étais présent à une conversation entre le maire de Québec et quelques autres gentlemen canadiens, sur les meilleurs moyens d’augmenter le revenu nécessaire aux besoins de la ville, et je vous assure qu’on ne pouvait pas désirer d’entendre émettre des principes plus exacts que ceux d’après lesquels ils procédaient dans leur discussion. Ils ont également fait preuve de sollicitude et d’habilité dans leurs mesures pour réprimer les vols de nuit qui commençaient à faire un tort grave à Québec. Le fait est que, grâce à l’effet naturel d’institutions libres, les Canadiens-Français, soit la