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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

le cours de la première rivière sur laquelle il tomberait, qui irait se jeter dans l’océan. Saint-Pierre, passant par le poste de la Reine, devait aller le rejoindre sur le bord de cette mer à une certaine latitude. Mais tout cela, était subordonné à la spéculation pour laquelle on s’était associé, c’est-à-dire que les voyageurs interrompraient l’expédition dès qu’ils auraient amassé assez de pelleteries. Ils ne furent pas loin, et ils revinrent chargés d’une riche moisson. Les associés firent un profit énorme. M. Smith fait monter la part seule du gouverneur à la somme prodigieuse de trois cent mille francs. La France ne retira rien de cette expédition, dont l’État fit tous les frais. » L’historien Garneau, en rapportant ces faits honteux se garde bien, et avec raison d’ajouter foi aux insinuations aussi malveillantes que fausses dont s’est rendu coupable l’auteur inconnu du « Mémoire sur les affaires du Canada »[1] depuis 1749 jusqu’à 1760, en parlant des entreprises de la Vérendrye. Le Mémoire en question finit par dire, néanmoins, que La Jonquière et sa société s’emparèrent « de presque tout le principal commerce des pays d’en haut. » On entrait dans une époque où de pareils actes de dilapidation devaient être à l’ordre du jour.

Le père Coquart, compagnon de la Vérendrye, avait beaucoup contribué à faire adopter le projet d’entrer dans l’ouest par le haut Missouri et la Saskatchewan, mais il ne pouvait prévoir quelle classe d’hommes exploiteraient son idée.

On devait s’attendre à voir les fils (ils étaient trois) de La Vérendrye réclamer l’honneur de continuer les découvertes de leur père et qu’eux-mêmes avaient étendues si loin. C’est en effet ce qui eut lieu, mais Bigot et le gouverneur repoussèrent leur demande. Qu’importaient à des pillards de profession les droits si chèrement acquis de cette famille ! La présence de ces officiers au milieu des opérations que l’on complotaient eut pu être dangereuse, ou pour le moins gênante. Leur honnêteté, le désintéressement dont ils avaient donné tant de preuves étaient encore bien au-dessus de l’intégrité tant vantée de M. Le Gardeur de Saint-Pierre. Après le refus de leur confier la direction de l’une des entreprises projetées, restait l’espoir d’obtenir de l’emploi sous les chefs qui en faisaient partie. Le Gardeur de Saint-Pierre, à qui ils s’adressèrent parce qu’il était spécialement chargé de la région du nord-ouest, ne voulut pas leur accorder cette grâce. Écrasés, rebutés de toutes part, ils cessèrent de se faire entendre, laissant à l’histoire impartiale la tâche de venger leur malheur. Mais en attendant, comme il leur restait à chacun une épée, ils s’empressèrent de la mettre au service du roi, et deux d’entre eux firent avec honneur les campagnes de la guerre de Sept Ans qui ne tarda pas à commencer. En 1750, Pierre, l’aîné de la famille, était enseigne en second ; le chevalier avait le même grade ; le troisième frère n’était que cadet à l’aiguillette. Cette année, dans la liste des officiers pour les îles d’Amérique est recommandé « pour être lieutenant, de la Vérendrye, enseigne. » En 1751, la compagnie des troupes dites de la marine, qui était commandée par le sieur de la Vérendrye, (c’est le Découvreur) fut confiée au lieutenant Louis Liénard Villemonde de Beaujeu, lequel fut fait capitaine à cette occasion. Les promotions ne

  1. Publié par la Société Littéraire et Historique de Québec, 1873.