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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

soin, ici, à créer une colonie morale, autant on jetait, là-bas, d’élément de corruption. Mais, en mettant même de côté ces monstruosités, et en n’envisageant que l’émigration puritaine, qui peut être comparée à la nôtre par les motifs élevés qui l’ont inspirée, nous allons voir laquelle des deux mérite davantage l’épithète de demi-civilisée. Voici, d’après le même Bancroft, ce qui se passait huit ou neuf ans après l’époque dont nous venons de parler, parmi les gens de Boston, qui avaient alors de bons chapeaux, de bonnes bottes et de bons habits, parmi lesquels même commençait à poindre la codfish aristocracy. Après avoir parlé des nombreux procès pour sorcellerie intentés contre les anabaptistes, l’historien ajoute : « Les prisons étaient pleines. On pouvait remarquer que… pas un de ceux qui avaient fait des aveux et qui ensuite s’étaient rétractés, n’avait échappé, soit à la potence, soit à un emprisonnement, pour être jugé de nouveau. Le neuf d’août (1692), six femmes furent condamnées ; d’autres déclarations de culpabilité se succédèrent… Le 22 septembre, huit personnes furent conduites à la potence. Parmi elles se trouvait Samuel Wardwell, qui avoua et fut pardonné ; mais saisi de honte et de repentir, il rétracta ses aveux et proclama hardiment la vérité ; sur quoi on le pendit, non pour sorcellerie, mais pour refus de reconnaître la sorcellerie. Marthe Cory fut visitée dans sa prison, avant son exécution, par Parris, accompagné de deux diacres et d’un autre membre de son église. Les archives de cette église rapportent que Marthe, puisant sa force en elle-même, repoussa « avec arrogance » ses persécuteurs, « qui prononcèrent contre elle la redoutable sentence d’excommunication. » Marie Eusty, exposant avec calme l’imposture de ceux qui avaient choisi tant de victimes au sein de sa famille, sut allier le plus noble courage à la douceur de caractère, à la dignité, à la résignation. Mais le grand juge était convaincu que tout ce qui s’était fait l’avait été justement, et « il se montra très-impatient d’entendre parler dans un sens tout différent. » — « Huit suppôts de l’enfer sont pendus, » dit Noyes, le ministre de Salem, en désignant les huit corps qui se balançaient sur le gibet. Vingt personnes avaient été mises à mort du chef de sorcellerie ; on en avait amené cinquante-cinq, par la torture ou la terreur, à faire des aveux et à se repentir. À mesure que les accusations se multipliaient, les aveux se multipliaient aussi ; et à la suite des aveux venaient de nouvelles accusations. « La génération des enfants de Dieu » elle-même se voyait menacée de « devenir victime de cette réprobation… Giles Cory, vieillard octogénaire, voyant que tous les accusés étaient déclarés coupables, refusa de se défendre, et se vit condamné à être pressé jusqu’à ce que la mort s’ensuivit. Cette horrible sentence, usage barbare de la loi anglaise, reçut immédiatement son exécution. »

« En lisant cette page, ne croiriez-vous pas assister à un autodafé de l’inquisition espagnole ? Si de pareils faits s’étaient produits au Canada, je vous laisse à penser ce qu’en auraient dit nos adversaires : vous entendriez d’ici leurs superbes cris d’indignation. Nous pourrions multiplier les citations, mais c’en est assez pour faire juger de quel côté était la population demi-civilisée : du côté de l’Atlantique ou du Saint-Laurent. À cette rectification, nous pourrions en ajouter d’autres ; mais, outre que cela nous entraînerait hors de notre sujet, il nous est pénible d’avoir à combattre un écrivain avec qui nous serions si heureux d’être toujours du même sentiment. »