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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Canada, arriva en Louisiane le 10 mai 1743. Les dépêches qu’il commença à écrire dès cette année ne sont qu’une continuation des plaintes formulées si souvent par Bienville au sujet du manque d’approvisionnement et de la faiblesse générale de la colonie. On en était encore à se nourrir en grande partie des vivres apportées de France. La colonie ne produisait pas assez de vivres même pour les cultivateurs du sol, et pour les troupes, remarque M. Gayarré. S’il faut en croire les dépêches des gouverneurs, les habitants étaient toujours à la veille de mourir de faim — et cela durait depuis quarante ans. En 1744, M. de Vaudreuil disait : « S’il n’était pas arrivé de la farine par l’Éléphant, les soldats eussent été sur le point de la révolte. » Déjà, néanmoins, un pas était fait : on cultivait le riz, le tabac et l’indigo. Dégagée du monopole commercial, la Louisiane commençait à respirer. M. de Vaudreuil, tout Canadien qu’il était, avait à la cour plus de crédit que son prédécesseur ; ce dernier, toutefois, qui était passé à Paris, dût voir les ministres dans l’intérêt de la province qu’il avait si longtemps gouvernée. Le 27 d’avril 1744, le conseil d’État ordonna l’abolition du papier-monnaie introduit depuis onze ans malgré les avis de Bienville. Ce fut un soulagement immense pour les pauvres colons, mais M. de Vaudreuil commit la faute de rétablir les monopoles en affermant des postes chez les sauvages, comme cela se faisait en Canada. On le voit s’occuper aussi de la découverte des mines, cette chimère de Lamothe-Cadillac et de presque tous ceux qui avaient eu la main dans les affaires de la Louisiane. Il s’employa à contenir les Chickassas par le moyen des Chactas et y serait parvenu complètement si la cour lui eut envoyé des marchandises pour les présents sans lesquels on ne conclut jamais rien avec ces peuples.

Le budjet des dépenses de la colonie qui, en 1745, était d’un demi million, s’éleva graduellement jusqu’à un million durant les quinze années qui suivirent. C’était énorme, vu le bas chiffre de la population (de trois à cinq mille blancs) et l’administration presque nulle qui nous est révélée par les dépêches des hauts fonctionnaires. La Nouvelle-Orléans comptait en 1745 huit cents habitants de race blanche, non compris deux cents soldats, les femmes et les enfants ; le nombre des nègres était de trois cents âmes. On dit que la plupart des gens amenés de France au temps de M. de Vaudreuil étaient trop âgés pour former des familles ; c’est, joint aux guerres et à la famine, l’explication de la décadence de nombreux établissements.

Avec M. Lenormant, nouveau commissaire-ordonnateur, arrivé en 1746, s’ouvrit une suite de querelles qui ressemblent à la longue mésintelligence dont nous avons parlé entre les gouverneurs et les intendants du Canada. Les pouvoirs du commissaire, comme ceux de nos intendants, enlevaient à M. de Vaudreuil une partie de son autorité. Ce vice de fond prenait souvent les formes les plus désagréables, et naturellement la colonie s’en ressentait. De part et d’autres les accusations pleuvaient sur la table du ministre du roi. Lenormant ne voyait dans Vaudreuil qu’un homme en voie de faire sa fortune personnelle et celle des Canadiens qu’il protégeait ; Vaudreuil trouvait les marchandises fournies par les soins de Lenormant très mauvaises et trop chères et dénonçait de ce côté des spéculations de tous genres. C’était bien le siècle de Louis XV.