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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

l’œuvre pour faire ce que l’on attend d’eux. Leur conversation est très intéressante et instructive et l’on ne peut s’ennuyer dans leur société. J’ai causé avec beaucoup de jésuites en Canada ; je n’en ai pas trouvé un qui ne possédât ces qualités à un degré imminent. Ils ont de grands biens dans ce pays qu’ils tiennent du roi de France. À Montréal, ils ont pareillement une belle église, une maison petite mais élégante, et un jardin à l’avenant. Ils ne se soucient pas de devenir curés à la ville ou à la campagne ; ils laissent aux prêtres les cures, ainsi que les émoluments qui y sont attachés. Ils se consacrent entièrement à la conversion des païens et leurs missionnaires sont dispersés dans toutes les parties du pays, à la poursuite de cette œuvre. Dans chaque bourgade ou village habités par les Indiens convertis, il y a un ou deux jésuites fixés… Ils ne reçoivent dans leur société que des sujets qui promettent. On ne trouve pas d’imbéciles parmi eux. Les prêtres, de leur côté, reçoivent dans leurs rangs les meilleurs sujets qu’ils peuvent trouver, mais les moines sont moins particuliers. Les jésuites qui demeurent ici viennent tous de France, et beaucoup y retournent après un séjour de quelques années. Quelques uns, dont cinq ou six sont encore vivants, natifs du Canada, sont allés en France, et y ont été admis au nombre des jésuites, mais aucun d’eux n’est jamais revenu en Canada ; pour quelle cause ? je l’ignore. Pendant mon séjour à Québec, un des prêtres s’est démis de sa cure, avec la permission de l’évêque, pour se faire jésuite, au grand mécontentement des autres prêtres, qui se sont demandé si le changement d’état de leur confrère était dû à ce qu’il croyait leur condition trop petite pour lui. Il y a des paroisses dans la campagne qui paient des redevances aux jésuites, mais elles sont desservies par des prêtres nommés par l’évêque, et les jésuites ne perçoivent que les cens et rentes. Les jésuites ne trafiquent ni dans les peaux ni dans les fourrures, laissant ce soin entièrement aux marchands… Les prêtres du séminaire de Québec ne le cèdent guère aux jésuites sous le rapport de la politesse… Les curés forment la seconde et la plus nombreuse classe du clergé dans le pays et desservent la plus grande partie des églises, tant dans la ville que dans les villages, à l’exception des bourgades d’indiens convertis ; cependant, quelques-unes de ces paroisses ont des missionnaires pour curés… Les prêtres de Saint-Sulpice viennent tous de France ; on m’assure qu’ils n’admettent aucun natif du Canada parmi eux. Au séminaire de Québec, ce sont les natifs du Canada qui forment la majorité… Les curés ne paraissent pas très forts sur le latin, car quoique le service se fasse dans cette langue, et qu’ils lisent leurs bréviaires et d’autres livres chaque jour, la plupart ne parlent le latin que très difficilement. Les deux séminaires ont de grands revenus qu’ils tiennent de la libéralité du roi. Celui de Québec a au-dessus de trente mille livres par an. On assure que la rente foncière de la ville et de l’île de Montréal, rapporte au séminaire de Saint-Sulpice soixante et dix mille livres, à part de ce que les prêtres reçoivent pour dire des messes, etc. Comme ce séminaire ne compte que seize prêtres, il a plus de revenus qu’il ne peut en dépenser ; il envoie chaque année, à la maison-mère, en France, une grosse somme d’argent… Les récollets forment la troisième classe d’ecclésiastiques en Canada… Ils ne se mettent pas en peine de choisir des sujets brillants pour leur communauté… Ils ne se martèlent pas le cerveau pour acquérir la science…