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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

tâcher d’entretenir une bonne correspondance avec les ecclésiastiques, sans quoi il est impossible qu’ils puissent se soutenir. Il faut non-seulement que leur conduite soit régulière, mais encore celle de leurs soldats, en empêchant les désordres qu’ils pourraient faire dans leurs quartiers… Le gouverneur général ne peut se dispenser des jésuites pour faire des traités avec les gouverneurs de la Nouvelle-Angleterre et de la Nouvelle-York, non plus qu’avec les Iroquois — je ne sais si c’est par rapport aux conseils judicieux de ces bons pères, qui connaissent parfaitement le pays et les véritables intérêts du roi, ou si c’est à cause qu’ils parlent et entendent à merveille les langues de tant de peuples différents, dont les intérêts sont tout-à-fait opposés, ou si ce n’est point par la condescendance et la soumission qu’on est obligé d’avoir pour ces dignes compagnons du Sauveur… Plusieurs personnes m’ont assuré que les jésuites faisaient un grand commerce de marchandises d’Europe et des pelleteries du Canada ; mais j’ai de la peine à le croire, ou si cela est, il faut qu’ils aient des correspondants, des commis et des facteurs aussi secrets et aussi fins qu’eux-mêmes, ce qui ne saurait être. »[1]

Mgr  de Saint-Vallier, arrivé en 1685, a écrit une relation de sa première visite au Canada. En voici quelques passages. Parlant des environs de Québec, il dit : « Il n’y a qu’une seule cure au cap Tourmente qui est fort bien desservie. Il y en a trois à la côte de Beaupré, savoir : Sainte-Anne, Château-Richer et l’Ange-Gardien ; et cinq dans l’île d’Orléans, qui sont la Sainte-Famille, Saint-François, Saint-Jean, Saint-Paul et Saint-Pierre. Ces huit cures sont gouvernées par quatre prêtres dont l’un est attaché à Sainte-Anne, lieu de pèlerinage où l’on va toute l’année, l’autre dessert Château-Richer et l’Ange-Gardien ; le troisième partage ses soins entre la Sainte-Famille et Saint-François, et le dernier est chargé à lui seul de Saint-Jean, Saint-Paul et Saint-Pierre. Chaque paroisse aura dans la suite son curé, lorsqu’elle pourra lui fournir sa subsistance[2] et qu’il y aura plus de prêtres[3] dans le pays. Tous ces lieux m’ont paru pauvres, il n’y a que trois ou quatre églises qui aient été bâties de pierres par les soins et le secours de messieurs du séminaire de Québec ; les autres ne sont que de bois, et elles ont besoin d’être ou réparées ou achevées, ou ornées au-dedans… Quelque temps après, je passai à Montréal. Je visitai sur ma route toutes les églises que j’y trouvai, des deux côtés du fleuve ; celle d’une petite ville que l’on appelle les Trois-Rivières et qui est fermée de pieux, fut la seule qui me donna de la consolation ; toutes les autres étaient ou si prêtes à tomber en ruine, ou si dépourvues des choses les plus nécessaires, que la pauvreté où je les vis m’affligea sensiblement ; et je ne doute pas que si les personnes de piété qui sont en France avaient vu comme moi ces lieux saints couverts de paille, tous délabrés, sans vaisseaux sacrés et sans ornements, elles n’en fussent vivement touchées, et qu’elles n’étendissent leurs aumônes jusque-là, pour y faire célébrer les divins mystères avec décence. »

  1. Il n’y a pourtant pas à se cacher que les jésuites faisaient la traite dans plus d’une mission. La Hontan est le seul qui en doute.
  2. Ceci donne à croire que la pauvreté régnait chez les habitants. La majeure partie des revenus ou dîmes des paroisses passait au séminaire de Québec.
  3. Ils n’étaient pas moins de soixante et quinze dans le Bas-Canada, pour une population de onze mille âmes au plus.