Page:Sulte - Histoires des Canadiens-français, 1608-1880, tome VII, 1882.djvu/61

Cette page a été validée par deux contributeurs.
46
HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

ne fussent pas dissipés. Ce pays se trouve épuisé presque avant d’être connu ; son gouvernement est mauvais, ou pour mieux dire, il n’y en a point ; on y vit au jour la journée ; aucune loi qui concerne la population (colonisation), l’agriculture, qui fasse dépendre le commerce de ses vrais principes, qui attache les citoyens à une patrie naissante, qui rende cette colonie utile à sa métropole, qui l’empêche même de lui être à charge ; en un mot, c’est le pays des abus, de l’ignorance, des préjugés, de tout ce qui est monstre en politique ; c’est le plus beau champ pour les soins, les lumières, le zèle d’un législateur habile ; il y faudrait le code entier des lois de toutes espèces… » Après avoir dit que la population de Québec meurt de faim et que le munitionnaire-général n’est que le prête-nom de la ligue qui exploite le Canada sans merci ni pitié, l’auteur du même mémoire ajoute que la colonie « fournissait autrefois à la subsistance de ses habitants ; il en sortait encore, en 1749, des partis considérables de farine pour Louisbourg et pour les îles de l’Amérique. La colonie fournit, année commune, quatre-vingt mille minots de blé, dont soixante mille minots nécessaires à la nourriture des habitants. Le lard ne valait alors que quatre à cinq sous la livre ; il en coûte aujourd’hui quatorze ou quinze et ainsi de toutes les denrées à proportion… Les gens revêtus de l’autorité en ont abusé pour faire des ordonnances frauduleuses sur les grains, pour dicter ensuite les prix des marchés et faire des profits immenses, au détriment du pays et à la ruine du peuple… À l’égard des articles de nécessité premières, le Canada pourrait à la rigueur se passer de toutes les marchandises et denrées qu’on y apporte d’Europe et des îles de l’Amérique… Cependant, on y apporte non seulement des marchandises de toute espèce manufacturées en Europe, mais encore des articles que le pays produit : le fer, le plomb, les farines et le lard. Cette importation peut former, année commune, une somme de huit millions de vente en Canada… On a laissé les villes se peupler proportionnellement plus que les campagnes… Depuis dix ans que la guerre dure ici, la jeunesse y est affaiblie par la fatigue des marches et des navigations continuelles. L’ardeur de défendre son pays lui donne, à la vérité, un zèle qui double ses forces, mais enfin ces forces s’épuisent… »

De retour en France (1749) M. de la Galissonnière proposa l’envoi de dix mille paysans pour peupler les bords des grands lacs et le haut de la vallée du Saint-Laurent et du Mississipi. Il disait au ministre que si la paix (1748) paraissait avoir assoupi les jalousies des Anglais en Europe, il n’en était pas de même en Amérique, et qu’il fallait fortifier le Canada et la Louisiane tant sous le rapport des troupes que des habitants.

Le marquis Duquesne, gouverneur-général, écrivait en 1753 se plaignant de l’indiscipline des troupes royales stationnées en Canada. Les officiers, dit-il, ne veulent pas servir et paraissent consternés lorsqu’ils reçoivent un ordre de ce genre. Les soldats, sont des hommes de mauvais choix ; il y a beaucoup de déserteurs ; leur insubordination est outrée ; cela provient de l’impunité dans les cas les plus graves. Il dit avoir vu un soldat « passer sous le nez de son capitaine sans lui ôter son chapeau » ; les soldats ont des dettes, sont d’une malpropreté la plus crasse et d’une négligence complète dans le service. Duquesne modifia, non sans peine, ce régime désastreux, mais il ne guérit point le mal radicalement.