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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

ressort, il se portait dans la poche, si c’était, au contraire, un couteau-poignard, il était suspendu au cou dans une gaîne de maroquin, de soie, ou d’écorce de bouleau, artistement travaillée, et ornée par les aborigènes. Les manches étaient généralement d’ivoire, avec des rivets d’argent, et même en nacre de perles pour les dames. Il y avait aussi à droite de chaque couvert, une coupe ou un gobelet d’argent de différentes formes et de différentes grandeurs ; les uns de la plus grande simplicité, avec ou sans anneaux ; les autres avec des anses ; quelques-uns en forme de calice avec ou sans pattes, ou relevés en bosses ; beaucoup aussi étaient dorés en dedans. Une servante, en apportant sur un cabaret le coup d’appétit d’usage, savoir : l’eau-de-vie pour les hommes et les liqueurs douces pour les femmes, vint prévenir qu’on était servi. »

M. de Gaspé décrit ensuite un repas auquel il a assisté : « Le menu du repas était composé d’un excellent potage, (la soupe était alors de rigueur tant pour le dîner que pour le souper), d’un pâté froid, appelé pâté de Pâques, servi, à cause de son immense volume, sur une planche recouverte d’une serviette, ou petite nappe blanche, suivant ses proportions. Ce pâté, qu’aurait envié Brillat-Savarin, était composé d’une dinde, de deux poulets, de deux perdrix, de deux pigeons, du râble et des cuisses de deux lièvres : le tout recouvert de bardes de lard gras. Le godiveau de viandes hâchées, sur lequel reposaient, sur un lit épais et mollet, ces richesses gastronomiques, et qui en couvrait aussi la partie supérieure, était le produit de deux jambons de cet animal que le juif méprise, mais que le chrétien traite avec plus d’égards. De gros oignons, introduits çà et là, et de fines épices complétaient le tout. Mais un point très important en était la cuisson d’ailleurs assez difficile, car si le géant crevait, il perdait cinquante pour cent de son acabit. Pour prévenir un événement aussi déplorable, la croûte du dessous qui recouvrait encore de trois pouces les flancs du monstre culinaire, n’avait pas moins d’un pouce d’épaisseur. Cette croûte même imprégnée du jus de toutes ces viandes, était une partie délicieuses de ce mets unique. Des poulets et des perdrix rôtis, recouverts de doubles bardes de lard, des pieds de cochon à la Sainte-Ménéhould, un civet bien différent de celui dont un hôtelier espagnol régala jadis l’infortuné Gil Blas, furent en outre les autres mets que l’hospitalité du seigneur de Beaumont put offrir à ses amis. » Un vieux gentilhomme canadien dînait un jour au château Saint-Louis, après la conquête, se servit à table d’un superbe couteau à gaîne, qu’il portait suspendu à son cou. Son fils, qui était présent, et qui, suivant l’expression de son père, avait introduit chez lui les couteaux de table avant le dessert pour faire l’Anglais, racontait qu’il pensa mourir de honte en voyant ricaner en dessous les jeunes convives des deux sexes. Les habitants se servaient toujours, il y a cinquante ans (vers 1800) de leurs couteaux de poche pendant les repas : les hommes de couteaux plombés : un forgeron en fabriquait la lame ; les manches en bois étaient ornés de ciselures en étain ; et comme cet instrument n’avait pas de ressort, le patient était contraint de tenir constamment la lame assujettie avec le pouce : l’esprit ingénieux de l’artiste facilitait l’opération au moyen d’un petit bouton placé à la partie de la lame attenante au manche, Les habitants s’en servaient avec beaucoup d’adresse ; mais les novices se pinçaient horrible-