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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

portent qui jusqu’à présent a conservé le Canada. Le Canadien est haut, glorieux, menteur, obligeant, affable, honnête, infatigable pour la chasse, les courses, les voyages qu’ils font dans les pays d’en haut, paresseux pour la culture des terres. Parmi ces mêmes Canadiens, on met une grande différence pour la guerre et les voyages d’en haut entre ceux du gouvernement de Québec et ceux du gouvernement des Trois-Rivières et de Montréal, qui l’emportent sur les premiers, et ceux de Québec valent mieux pour la navigation ; parmi ces habitants, ceux qui voyagent dans les pays d’en haut sont réputés les plus braves.

Il est visible que le sieur de Montreuil qui servait comme major-général sous Montcalm, avait lu ce passage de Bougainville, car il le répète presque mot à mot : « Le Canadien, dit-il, est indépendant, méchant, menteur, glorieux, fort propre pour la petite guerre, très brave derrière un arbre, et fort timide lorsqu’il est à découvert.[1] Les habitants sont fort à leur aise. Ils ne payent ni taille, ni autres impôts ; ils chassent et pêchent librement ; en un mot, on peut les regarder comme riches. Les Canadiens sont grands, robustes et infatigables, surtout pour les marches ; fort ignorants, n’ayant aucune idée des sciences, ne s’attachant qu’à leur commerce. Cela n’empêche pas qu’ils ne soient présomptueux et remplis eux-mêmes, s’estimant au-dessus de bien des nations. Le sang du Canada est beau ; les femmes y sont généralement jolies, grandes et bien faites, spirituelles, babillardes, maniant la parole avec aisance ; paresseuses en tout, et pour le luxe au dernier point. »

Kalm admire la politesse des Canadiens : « Un étranger entre-t-il dans la maison d’un paysan ou cultivateur, celui-ci se lève aussitôt, salue le visiteur d’un coup de chapeau, l’invite à s’asseoir, puis il remet son chapeau et se rassied lui-même. Ici, tout le monde est Monsieur ou Madame, le paysan aussi bien que le gentilhomme, la paysanne comme la plus grande dame. Les gens de la campagne, les femmes surtout, portent des chaussures de bois faites tout d’une pièce et creusées en formes de pantouffles. Les jeunes gens, et même les vieux paysans tiennent leurs cheveux noués en couette par derrière et beaucoup d’entre eux passent la journée à la maison la tête couverte d’un bonnet de laine rouge ; il y en a même qui font des voyages ainsi coiffés. »

M. Aubert de Gaspé écrivait dans sa vieillesse, vers 1860 : « C’est encore la belle coutume dans nos campagnes, de ne jamais passer devant une voiture, sans s’excuser ou demander la permission. Conservons toujours ces vieilles et touchantes traditions, cette belle politesse française que nous ont léguée nos pères, les plus polis des hommes… S’il leur fallait les apprêts de nos maisons de ville, les femmes d’habitants, étant pour la plupart privées de servantes, seraient bien vite obligées de restreindre leur hospitalité, ou même d’y mettre fin ; mais il n’en est pas ainsi ; elles jouissent même de la société sans guère plus de trouble que leurs maris. La recette en est bien simple ; elles font cuire de temps en temps, dans leurs moments de loisir, deux à trois fournées de différentes espèces de viandes, qu’elles n’ont aucune peine à conserver dans cet état, vu la rigueur de la saison. Arrive-t-il des

  1. Voir l’opinion du marquis de Vaudreuil ; Garneau : Hist. du Canada, II, 376.