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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

pour la haute instruction ; les petites écoles étaient tout ce qu’il lui fallait. Mais qu’on observe, dans le cours de notre histoire, ce qui s’est passé chaque fois que les interdits ont été levés — on sera surpris de l’ardeur des Canadiens à adopter des professions nouvelles. Toujours et partout, le gouvernement, qu’il fût français ou anglais, a commencé par nier nos aptitudes, et s’appuyant sur cette idée commode, il nous a fermé la porte, en faisant entrer ses créatures dans les emplois. Survenait-il ensuite une crise qui forçait la main du ministre, la moindre occasion nous était-elle offerte — il se rencontrait parmi nous des sujets en grand nombre qui ne demandaient pas mieux que de se produire et de faire honneur à la race dont ils étaient les fils dévoués. On avait dit en premier lieu que les habitants seraient de tristes soldats ; mais Frontenac leur donna des armes et nos incomparables milices ont rempli les plus glorieuses pages des annales de l’Amérique du Nord. La mode fut ensuite de nous déclarer impropres aux emplois civils supérieurs ; lorsque les barrières élevées par l’oligarchie tombèrent, nous eûmes une phalange de beaux talents à mettre en ligne. Nous devions aussi, d’après la même manière de voir, répugner à la navigation ; dès avant la conquête, nos pilotes avaient remplacé ceux de France et ils tiennent encore la palme dans cet art. Il fut un temps où l’Angleterre nous regardait comme incapables de comprendre le gouvernement constitutionnel ; lorsque s’ouvrit le premier parlement nous fîmes voir aux Anglais que nous nous entendions mieux que la plupart de leurs champions à faire des lois justes et à les appliquer. D’un accord unanime, les Européens nous disaient incapables en fait de littérature ; une pléiade d’écrivains donnent maintenant la réplique à ces accusateurs. Tant que la fortune nous a été contraire, on s’est plu à redire que le commerce n’allait pas à notre main ; à peine avions-nous amassé quelque argent, et déjà les Canadiens ouvraient des magasins qui n’ont fait qu’augmenter en nombre et en importance. Même chose dans le commerce de banque. Tout récemment encore, les chemins de fer étaient du grec pour nous, disait-on ; qu’est-il arrivé ? Un premier mouvement a fait surgir des hommes de capacité dans toutes les branches de ce genre d’entreprise. Petit à petit, en essuyant le feu de l’étranger, nous avons franchi les obstacles accumulés devant nos pas ; nous sommes dans la place aujourd’hui. À quand d’autres imputations de paresse ou d’incompétence ? Bientôt peut-être, mais nous continuerons à avoir raison deux fois et à le prouver quatre fois.

L’épisode des compagnons du sieur C. Le Beau,[1] arrivé à Québec le 18 juin 1729, après le naufrage de l’Éléphant, appartient à l’histoire de nos écoles. Au nombre de ces déportés étaient le chevalier de Texé, Parisien, le chevalier de Bauville, gentilhomme de Picardie, et le chevalier de Courbuisson, neveu du procureur général du parlement de Paris. Les autres, dit Le Beau, « étaient fils de bons bourgeois ou marchands de cette même ville, et, exceptés deux pauvres paysans braconniers, qui s’étaient avisés de chasser sur les terres de M. le comte de Toulouse, ils étaient tous fort proprement vêtus. Il n’y avait que le sieur Narbonne, fils du commissaire de Versailles et ancien commis du comte de Maurepas, dont

  1. Voir le présent ouvrage, VI, 100.