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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Pacifique et il y parvint, ou à peu près, laissant sur ses traces une chaîne d’établissements qui ne devaient pas périr. Un premier Canada, à l’est, était sorti du cerveau de Champlain. Un autre, à l’ouest, nous fut donné par La Vérendrye. Peut-être un troisième, au nord, eut-il prit naissance si l’on eut poursuivi les découvertes et les entreprises de Chouart des Groseillers. D’Iberville et Bienville surtout, firent surgir, au sud, à la Louisiane, une quatrième province. Et tout cela en moins d’un siècle et demi. Poutrincourt, autre grand caractère, fonda peu de chose, toutefois l’Acadie lui doit son berceau.

De 1608 à 1750, bien des noms brillent dans l’histoire de nos découvertes. C’est au point que nos ancêtres apparaissent sur la carte de l’Amérique comme autant de Livingstons et de Stanleys. Nous conservons ces renommées avec orgueil — mais que dire des deux grands hommes qui dominent toute cette glorieuse pléïade ! Pour les apprécier à leur valeur et marquer le rang qu’ils doivent occuper dans nos souvenirs, il suffit de les mettre en regard de ceux qui ont des droits à la haute position de découvreurs ou de fondateurs.

Cartier reconnaît le Saint-Laurent jusqu’à Montréal et ne laisse après lui ni organisation stable ni établissement. Nicolet pénètre jusqu’au Wisconsin et attire la traite de ces régions vers les postes canadiens. Maisonneuve se cantonne à Montréal et y renferme toute sa gloire. Chouart visite la baie d’Hudson, provoque les Anglais et fait naître une puissante compagnie commerciale. Jolliet parcourt le Mississipi sans s’y attacher. La Salle s’épuise en efforts stériles pour fixer des colons sur les bords de ce grand fleuve. Du Luth, Perrot s’avancent dans le pays des Sioux sans rien créer, pas même un noyau de province. Tous ont semé les germes de ce que nous voyons, mais aucun d’eux n’a pu se dire en mourant qu’il avait rangé à jamais sous l’étendard de la civilisation un nouveau coin de terre. Ils furent des Jacques Cartier — des découvreurs, rien de plus. Quelle différence avec Champlain et La Vérendrye !

Champlain rencontre une contrée dont il peut faire un royaume, il dresse ses plans et se trouve assez fort pour les conduire à bonne fin. Son génie embrasse toute la question. Le sol, le climat, les Sauvages, la traite, l’ensemble de l’administration, rien n’échappe à sa prévoyance. Il calcule si juste, travaille si parfaitement, que tout vient à point réaliser ses espérances. Déçu à plusieurs reprises, il reprend courage et oblige en quelque sorte les événements à lui obéir. Il rend son âme à Dieu après avoir imposé sa volonté aux hommes.

La Vérendrye demande que la Nouvelle-France s’étende jusqu’à la mer de l’ouest. Sous Champlain et ses successeurs, on a vu des miracles d’activité et de patriotisme. L’heure est venue de recommencer. Après avoir été les premiers dans l’est, le nord et le sud, il veut que les Canadiens devancent les autres races dans l’ouest. Le gouvernement protestera qu’il manque d’argent, qu’il n’a pas d’hommes, pas de projets — qu’importe ! Il n’est point bon que l’Amérique du Nord reste étrangère à l’influence française. Portons nos avant-postes aux pieds des Montagnes-Rocheuses — le roi sera bien forcé de nous y suivre ! Le gouverneur de Québec commandera un empire grand comme la Russie. Le Découvreur surmonte toutes les épreuves de cette situation exceptionnelle ; il voyage, fonde, éclaire l’inconnu — et lorsqu’il meurt le nord-ouest est à nous.