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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

La coutume des touristes est de saisir, çà et là, quelques expressions et de les généraliser. Défions-nous de ce système.

Les termes impropres sont choses communes dans la bouche de tous les peuples du monde. Nous en avons moins que dans bien des pays.

Vers 1804, le poète Thomas Moore, qui ne savait pas le français, mais qui se vantait de le comprendre, et même de le juger en connaisseur — mentionnait la « prononciation barbare » des Canadiens.

Il y a trente ans, M. Ampère, visitant la montagne de Montréal, racontait qu’une « bonne femme, occupée à jardiner, me dit, avec un accent de cordialité et très normand : montais m’sieu, il y a un biau chemin. Il ajoute : Ainsi qu’on vient de le voir, l’accent qui domine à Montréal est l’accent normand. » Nous ne le voyons pas du tout, pour l’excellente raison que les choses ne sont pas ainsi. Nos habitants disent : montez, messieu, y’a un biau ch’min. Sur huit mots, M. Ampère en a faussé six ! La contraction m’sieu n’est pas connue en Canada. Montais non plus. Biau est absolument étranger parmi nous. Ch’min pour chemin, se dit dans tout le Bas-Canada. Il y a n’est jamais employé par le peuple, mais seulement y a. Comment se fait-il que M. Ampère, qui a fréquenté l’historien Garneau, M. Lafontaine et dix autres Canadiens de marque, se soit plu à aller chercher dans la basse classe des expressions si étranges — ou plutôt qui n’y existent pas ?

M. Kowalski a entendu dire à une Québecquoise : « Voilà ma flotte qui dévale » — ce qui signifierait : « Ma famille passe ». Ce n’est pas la seule fausse note dont ce musicien a su agrémenter son livre.

M. de Parieux, dans un article sur l’unification des monnaies, qui a été lu et admiré par toute l’Europe, cite certaines dispositions de nos lois à cet égard, et il a le soin d’observer qu’il donne le texte tel qu’il est, « dans le langage français du Canada ». Eh bien ! ce texte écrit dans le langage français du Canada est tout simplement le français le plus pur et le plus correct qui se puisse trouver. Il a de quoi tenir, du reste, nous l’avons emprunté aux lois que nous a données Colbert, et, tel qu’il est, avec sa droiture d’expression et son sens net et clair, il a bonne mine à côté des textes du temps présent ! Le français de Corneille dont il est frère et qu’il rappelle incessamment, se moque bien du langage à la mode d’aujourd’hui.