fait comme chez nous ; il y a un je ne sais quoi qu’il faudrait analyser pour s’en rendre compte.
D’où vient que nous n’avons pas de patois ? Notre histoire l’explique. Au dix-septième et au dix-huitième siècles, l’influence des directeurs et des directrices de nos institutions publiques a décidé de la question. Écoles, hôpitaux, collèges, cures, tous avaient à leur tête des hommes et des femmes instruites, originaires de diverses parties de la France et qui, en très peu de temps, parvinrent, sans peut-être y faire attention, à fondre les accents de ceux qui étaient en rapport avec eux, en un seul et unique idiome où domina, nécessairement, le ton de la Normandie et des bords de la Loire. Ces curés, ces hospitalières, ces maîtresses, ces professeurs enseignaient aux jeunes Canadiens à parler correctement, à bien prononcer les mots, à saisir le génie de la langue française. Dans ce petit monde, chacun connaissait son voisin ou son supérieur — quelles conditions plus favorables peut-on exiger pour atteindre à l’uniformité et à l’exactitude du langage chez le peuple ?
Que le Canada ait été, sous le régime français, le pays du beau langage, c’est, dit M. Bibaud « ce dont il n’est pas permis de douter, tant les témoignages à ce sujet s’offrent en foule et se pressent. » Nous avons cité les pères Leclercq et Charlevoix, la mère de l’Incarnation, La Potherie et Kalm dont les témoignages sont tout-à-fait élogieux sur ce point. L’abbé d’Olivet ajoutait : « On peut envoyer un opéra en Canada, il sera chanté à Québec note pour note, et sur le même ton qu’à Paris, mais on ne saurait l’envoyer à Bordeaux ou à Montpellier et faire qu’il y soit prononcé syllabe pour syllabe comme à Paris. »
N’avons-nous pas, dans nos chansons populaires, une preuve manifeste de la modification en mieux du langage des anciens Canadiens ? La plupart de ces petits poèmes se sont conservés en France, mais leur valeur littéraire n’égale plus celle des couplets que nous connaissons ici. La cause en est que, grâce à une instruction plus générale, et à des avis donnés, selon toute évidence, par les missionnaires, les militaires, les fonctionnaires qui avaient tant de rapports avec les habitants et les « voyageurs, » les vers en question se sont policés, ont pris un cachet plus élégant, et, sans perdre leur caractère d’expression naïve et poétique, ont gagné un charme que l’on chercherait en vain dans les versions conservées en France.
Est-il vrai, comme on le dit, que la langue française ait dégénéré subitement après la cession du pays à l’Angleterre ? Nous en doutons. Plus que cela : une telle chose est impossible. Le sens commun veut qu’il s’écoule au moins deux générations avant que les hommes n’oublient assez la valeur des mots de leur langue pour la corrompre. Un habitant qui, en 1750, parlait de telle manière, n’a pas dû changer son langage dix ou quinze ans après pour plaire aux nouveaux venus. La classe instruite nous avait quittés, mais elle n’avait pas emporté la langue dans ses bagages. Il est vrai que le gouvernement britannique nous priva d’écoles ; cela dut avoir de l’influence sur l’instruction de la seconde génération, de 1770 à 1790, à peu près ; en d’autres termes la lecture et l’écriture subirent une dépression. Est-il croyable, néanmoins, que la langue parlée s’oublia et que des mots étrangers, patois ou anglicismes, firent invasion dans nos campagnes ? Qui ne voit que cela est erroné puisque