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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Les premiers Canadiens sont venus des côtes nord et nord-ouest de la France ; puis des bords de la Loire. Le groupe normand est arrivé en tête. Les percherons suivirent de près. Entre eux, il n’y a pas de différence bien notable. Le normand ne s’effraya point de ceux qui vinrent après lui : on sait par l’histoire de France qu’il est absorbant et meurt plutôt que de ne pas dominer. Il s’est rendu maître des gens de la Rochelle, du Poitou, de Paris même. La place se trouva prise, quant à l’accent. Sous le rapport des termes, des locutions, de la construction des phrases, il s’est quelque peu modifié, mais il en a enrichi son fond normand.

La population française du Canada se compose des descendants de cultivateurs et de militaires arrivés durant le dix-septième siècle. Après 1720 ce courant était arrêté. Une fois la conquête accomplie (1760) nous n’avons rien tiré de la France. Un siècle et demi s’est écoulé sans aucun mélange avec un nouvel élément. Depuis dix ans à peine, les agents d’immigration nous ont expédié quelques Français, la plupart gens de métiers et fixés dans les villes.

Au temps de l’établissement du Canada, la langue parisienne était moins correcte que celle de la région d’où sont sortis les premiers Canadiens. Les œuvres classiques de l’âge le plus brillant de la littérature française font voir que la prononciation actuelle des Canadiens-Français est la même que celle de l’époque de Henri IV, Richelieu, Louis XIII, Mazarin et Louis XIV — soit de 1575 à 1700, et même après cette date — la période par excellence des lettres, des salons et surtout du théâtre français. C’est au théâtre et chez les poètes que se conserve le mieux une langue ; les rimes de Chapelain, Boileau, Molière, Racine, Scarron, Scudéri, La Fontaine, Racan, Malherbe, Corneille, Perrault, Benserade, Quinault, justifient la prononciation « barbare » des Canadiens.

À la date même de la mort de Colbert (1682), La Bruyère écrivait : « L’air de cour est contagieux ; il se prend à Versailles, comme l’accent normand à Rouen ou à Falaise. » C’est précisément avant cette époque que le Canada reçut ses colons fondateurs — et à peu près tous venaient du nord de la France ; ils avaient apporté leur accent ; les soldats licenciés qui s’établirent à côté d’eux par la suite, en petit nombre, subirent l’influence du premier groupe, quant à la langue comme pour le reste. À la fin du dix-septième siècle, les sons du vieux langage étaient devenus comme étrangers à Paris et à Versailles, mais Rouen et Falaise, pays d’origine des Canadiens, les avaient conservés. Ce n’est pas le français du Canada qui a changé ou dégénéré, mais plutôt celui de Paris qui, pressé par l’influence croissante de l’accent des basses classes, ou des salons étrangers, a mis graduellement de côté la vieille et bonne prononciation pour en adopter une toute de convention, qui est encore plus éloignée de celle du Canada que des sources du latin du moyen-âge.

C’est en France, dans les localités d’où sont sorties nos familles qu’il faut étudier l’origine de notre accent. En veut-on une preuve ? elle s’est produite plus d’une fois. Les voyageurs français nous disent, à mesure qu’ils nous visitent : « Vos gens parlent à la manière de chez nous (Rouen, Brest, Nantes, La Rochelle, Poitiers, Tours), cependant ce n’est pas tout-à-