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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

pas donné la peine de nous noyer dans leur élément. Espéraient-ils que nous allions nous transformer pour leur faire plaisir ? Tant que nous conservions la majorité dans le Bas-Canada, l’espoir de nous convertir à la religion et à la langue de l’empire britannique ressemblait plutôt à une chimère qu’à un calcul politique raisonnable. En 1765, il n’y avait, dans les campagnes, que trente-six familles protestantes ou anglaises : le district de Montréal renfermait cent trente-six protestants. En 1770 toute la province ne comptait que trois cent soixante protestants. Enfin, au recensement de 1784 on voit ce chiffre grossir tout à coup jusqu’à quinze mille, par suite de l’arrivée récente des U. E. Loyalistes. C’est donc à cette dernière date qu’il faut commencer à considérer la valeur de la population anglaise au milieu de nous. Rappelons-nous que, en 1775, les Canadiens-Français qui étaient à peu près seuls dans la province, ont été évalués à quatre-vingt-dix mille âmes, c’est-à-dire qu’ils avaient augmenté de moitié en quinze ans, et ce fait est conforme à l’histoire. Ils devaient donc être de près de cent vingt mille âmes en 1784 ; cependant le recensement dressé par les ordres du gouverneur Haldimand, au commencement de l’année 1784, ne montre que cent treize mille âmes dans la province. D’une part, ce recensement est faible comme chiffre français, croyons-nous, et il ne comprend pas les U. E. Loyalistes qui n’émigrèrent au Canada que vers l’automne suivant. Il est dit, dans les lettres et mémoire de cette époque, que le nombre des protestants du Bas-Canada était de quinze mille : cela suppose plus de dix mille U. E. Loyalists en sus de la petite population arrivée de 1760 à 1784. Par conséquent, la création des États-Unis marque les débuts sérieux des Anglais en Canada, et ceci est d’autant plus digne de fixer l’attention que la plupart des personnes expulsées, par la force des choses, des provinces devenues indépendantes, étaient de la classe qui commande en tout pays. Son influence a dû se faire sentir immédiatement. Néanmoins, dix mille âmes ne pouvaient changer l’esprit de notre province, car la plupart des nouveaux établis tranchaient sur le fond canadien et rêvaient la domination du cabinet de Londres en tout par leur moyen, ne sachant pas qu’il est impossible de faire accepter aux Canadiens de telles dictées et de les amener à renoncer à des arrangements qui leur conviennent. Or, les prétentions des U. E. Loyalists n’étaient pas minces : ils se croyaient autorisés à conduire la province où ils s’étaient réfugiés. Contre leur espérance ils y trouvèrent un monde qui existait par lui-même et qui n’entendait pas badinage sur ce sujet. Bien que les renseignements nous manquent, il paraît évident que plusieurs abandonnèrent bientôt le Canada, au moins le Bas-Canada. Si trente mille U. E. Loyalists émigrèrent en Canada et si l’on en met dix mille en Haut-Canada, puis dix mille dans la province de Québec, il en reste dix mille pour les provinces maritimes. Ce chiffre est énorme, comparé au nombre des Acadiens, aussi vit-on ces derniers partir de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick dans le dessein de se fixer en Canada, parce qu’ils tenaient à leur langue et que la religion et les mœurs du Bas-Canada étaient les mêmes que celles de leur pays natal. Ils préférèrent s’en aller plutôt que de subir le contrôle des étrangers. Les U. E. Loyalists ne cherchaient pas du tout à rendre justice aux peuples auxquels ils demandaient refuge. Dès qu’ils mettaient le pied quelque part