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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

partit du pays par ordre supérieur, laissant ses compagnons encore indécis de leur sort, mais il est probable qu’ils sortirent de prison lorsque le livre de Ducalvet eut paru à Londres et que le général Haldimand fut rappelé (1784). Caseau avait une réclamation d’un million contre les États-Unis pour approvisionnements fournis à l’armée américaine ; il se rendit en France et y passa plusieurs années à solliciter sans succès ; c’est dans notre siècle seulement, et après beaucoup de démarches, que le Congrès de Washington a indemnisé quelque peu sa famille des pertes souffertes en 1775-76.

Haldimand avait exagéré sa mission. Il lui était enjoint de proclamer l’Habeas Corpus. et, même dans les temps de trouble, il ne devait emprisonner que sur le consentement du conseil ; de plus, sous trois mois après arrestation, les inculpés devaient subir leurs procès. Le gouverneur s’autorisa des événements de la guerre américaine pour agir à sa guise. Il avait surtout une peur terrible des émissaires français. Deux prêtres sulpiciens du nom de François Ciquard et Capel, arrivés ici en 1783, furent obligés de repartir sans délai. Tous ceux qui étaient soupçonnés, de près ou de loin, de correspondre avec les supporteurs de Lafayette étaient surveillés à la minute. Une sorte de terreur blanche régnait dans le pays. Il n’y avait pas jusqu’aux troupes qui ne contribuassent à faire sentir vivement le joug du maître ; celles-ci étaient composées principalement de mercenaires fournis à prix d’argent par les petits princes d’Allemagne et elles se conduisaient comme dans une contrée en révolte. Ce temps fut plus pénible aux Canadiens que les années qui avaient suivi immédiatement la conquête. On parlait bas : signe de malaise et de mécontentement.

Lorsque la fortune des armes tourna décidément contre les troupes anglaises et que l’indépendance des États-Unis parut inévitable les fonctionnaires durent se retirer des provinces insurgées. Trente mille âmes partirent de la sorte pour se répandre dans les autres colonies restées fidèles au drapeau de la Grande-Bretagne. Dix mille s’établirent dans le haut Canada où notre élément ne possédait que des établissements à peine commencés. On leur donna des terres. Ces familles, connues sous le nom de U. E. Loyalists (United-Empire Loyalists) formèrent le groupe politique si longtemps appelé le Family Compact. Elles possédaient l’instruction et le prestige qui s’attache aux gens persécutés. Le bas Canada en reçut un certain nombre. Tout d’abord, les ministres avaient voulu les établir dans les cantons situés à l’est du Saint-Laurent, mais Haldimand s’y opposa, disant que, si près des frontières, il était dangereux de placer des groupes ayant la même religion et parlant la même langue que les Américains. Une trentaine d’années plus tard, pour une raison précisément contraire, le gouvernement anglais forma, dans les cantons de l’Est, un cordon d’établissements écossais et autres, afin, disait-il, d’empêcher les Canadiens-Français de s’approcher du Vermont, du New-Hampshire et du Maine, mais au bout de vingt ans, nos compatriotes avaient pénétré jusqu’à la frontière, et même au delà !

L’immigration de 1784 peut être regardée, comme la première de quelque importance après la cession du Canada à l’Angleterre — c’est-à-dire que les Anglais, tout en exprimant sans cesse le désir de voir les Canadiens-Français devenir Anglais et protestants, ne s’étaient