Nous préférions être à l’Angleterre, avec laquelle il ne restait plus qu’à régler des questions d’ordre politique ; et comme nous avions ici le nombre, les talents, la volonté de nous faire un Canada paisible et heureux, tout nous détachait du jeune Lafayette et des enthousiastes qui l’entouraient sans y voir clair. Ces gens étaient autant de marionnettes dont Franklin, tenait les ficelles, et cela explique fort bien que Lafayette ait fait appel, d’une part, à notre sang français (ce qui n’avait pas le sens commun en ce moment, car enfin à quel propos ? à cause de Lafayette !) et, d’autre part, que Franklin ait lancé des déclarations catégoriques, au nom de la révolution américaine, contre la religion catholique et autres choses auxquelles, nous tenons plus qu’à la vie. Que l’on débrouille cette vaste pièce de théâtre qui s’est jouée sous le nom de guerre de l’Indépendance, et la figure grimée et irréfléchie de la France apparaîtra à côté des travers et des maladresses de John Bull. Jonathan, le rusé, sait où il va et ce qu’il retirera de ce bouleversement. Jean-Baptiste est sur ses gardes et se range contre les faiseurs de liberté, à la grande surprise de la France et de l’Angleterre. Franklin seul ne fut pas étonné de notre attitude ; s’il a employé, en un certain moment, le charlatanisme pour nous gagner, il n’en était pas moins éclairé sur la route que nous devions suivre dans nos propres intérêts, et cette route nous l’avons suivie malgré lui, malgré Lafayette, malgré les marchands anglais.
Mais, habilement mené, le réveil des idées françaises pouvait avoir des conséquences inattendues ; l’Angleterre le comprit. Souvenons-nous des Acadiens. En 1778, les troupes de la Grande-Bretagne étaient nombreuses sur le Saint-Laurent et rien ne nous indique que Haldimand fût disposé à oublier que la majeure partie de notre population s’était montrée indifférente en 1775-76. Voici un épisode raconté par M. de Gaspé qui montre jusqu’à quel point le mécontentement des Canadiens se manifestait parfois : « Dans ma jeunesse, dit-il, on remarquait des tombes isolées le long de la route, sur la côte du sud, au bas de Québec, c’étaient celles d’un nombre de Canadiens rebelles qui, pendant la guerre de 1775, avaient pris fait et cause pour les Américains, et auxquels leurs curés avaient été obligés, quoique bien à regret, de refuser la sépulture ecclésiastique, à cause de leur obstination à ne vouloir pas reconnaître leur erreur. Ces infortunés ayant appris que les Français combattaient pour la cause de l’indépendance, s’imaginèrent, à l’époque de l’invasion, qu’en se rangeant du côté des Américains ils verraient bientôt venir les Français derrière eux. Le souvenir de la conquête était alors en effet bien vivace, et les persécutions du gouvernement n’avaient pas peu contribué à attirer les haines invétérées des Canadiens contre les Anglais. Il était donc bien naturel de voir les malheureux vaincus tourner leurs regards attristés vers l’ancienne patrie d’où ils espéraient toujours voir revenir « leurs gens. » On rapporte qu’un des rebelles étant à son lit de mort, le curé vint l’exhorter à avouer sa faute. Le mourant se soulève à demi, et le regarde d’un air de mépris en disant : « Vous sentez l’Anglais ! » Puis il se retourne du côté de la muraille, et expire. »
À l’occasion des fêtes du 19 octobre 1881, la presse américaine a parlé mollement des services rendus, un siècle auparavant, aux États-Unis par la France. L’ensemble avec lequel