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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

l’exprimant dans sa lettre, une commission composée de Benjamin Franklin, Samuel Chase et de Charles Carroll[1] se mettait en marche, de Philadelphie, pour le Canada. Ces trois personnages devaient gagner les Canadiens à la cause du Congrès et fonder un journal. Dans ce dernier but, on réunit un matériel d’imprimerie et l’on engagea un imprimeur pour conduire la besogne. Cet homme se nommait Joseph Fleury Mesplet, de l’atelier de Franklin, à Philadelphie, à ce que l’on croit ; il est certain qu’il avait imprimé à Philadelphie, en 1774, le manifeste lancé par le congrès pour entraîner les Canadiens dans le mouvement de l’indépendance : « Lettre adressée aux habitants de la province de Québec, de la part du Congrès de l’Amérique Septentrionale, tenu à Philadelphie. » Le 29 avril, commission et imprimerie arrivaient à Montréal. Dès le lendemain les envoyés reconnurent que leur cause était entièrement perdue dans ce pays. Les Yankees avaient levé le siège de Québec. Franklin s’en retourna le 11 mai. Ses collègues en firent autant le 29. Le 30, la retraite des troupes du Congrès était regardée comme certaine. Durant ce mois, plusieurs manifestes et affiches de circonstance, furent publiés. Mesplet avait monté sa presse dans le Vieux-Château, aujourd’hui l’école normale Jacques-Cartier.

Le 4 juillet (1776) eut lieu, à Philadelphie, la fameuse déclaration de l’indépendance des États-Unis.

Les « Congréganistes » décampant, Mesplet eut le courage de chercher à s’établir parmi nous. Il se dirigea vers Québec, et, dans la même année 1776, y publia une édition du « Cantique de Marseille » dont il reste encore des exemplaires.[2] Ce livre porte pour noms d’éditeurs Fleury Mesplet et Charles Berger. C’est l’un des premiers imprimés en Canada. Mesplet le dédie aux âmes pieuses et espère « pouvoir participer un jour au bonheur qui les attend. » Il est probable que le voisinage de la Gazette constituait une trop forte concurrence pour l’atelier nouveau, car nous voyons bientôt les deux associés, Mesplet et Berger, installés à Montréal, place du marché (carré de la Douane aujourd’hui) et y imprimant le « Règlement de la conférence de l’Adoration Perpétuelle, » premier livre paru à Montréal. Cette année, dans la même ville, ils imprimèrent une tragédie en trois actes « Jonathas et David, » qui fut représentée au collège Saint-Raphaël (chateau Vaudreuil) par les élèves de cette institution. Peu après, Berger se retira de la société.

Le calme régna assez généralement depuis l’été de 1776 jusqu’à l’été de 1778, lorsqu’il fut troublé par les nouvelles de France.

Le jour de sa réapparition après le siège de (1775-76) la Gazette de Québec s’était plu à dire qu’elle avait « mérité le titre de la plus innocente gazette de la domination britannique, et, ajoutait-elle, il y a très peu d’apparence qu’elle perde un titre si estimable. » Cela signifiait qu’elle se gardait bien de s’occuper des affaires du pays. Cette douce innocence n’est plus

  1. Son frère John, prêtre catholique, accompagnait les délégués, avec mission de voir notre clergé ; on lui fit à Montréal un accueil tellement froid qu’il n’alla pas plus loin. Il fut le premier évêque de Baltimore.
  2. C’est bien le plus singulier assemblage de chants d’église qui se puisse voir ; on y retrouve dans toute leur naïveté les vers du temps de Henri iv et, comme les airs qui s’y adaptent conservent encore dans la mémoire de nos gens, leur audition n’est pas l’une des moindres curiosités que présente l’étude de la bibliographie en Canada.