Page:Sulte - Histoires des Canadiens-français, 1608-1880, tome VII, 1882.djvu/127

Cette page a été validée par deux contributeurs.
112
HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

par l’adversité, se déclaraient prêts à verser le reste de leur sang pour le roi d’Angleterre[1] si celui-ci voulait seulement permettre qu’on ne les molestât pas ! « Nous ne respirons que la soumission aux ordres de Votre Majesté, » disait une requête des Canadiens adressée au. monarque anglais, en 1764. Qu’importe, Murray fut rappelé.

Vers la fin de 1766, ce gouverneur écrivit au ministre que la province renfermait 76,275 âmes, « sur lesquelles il y a dans les paroisses dix-neuf familles protestantes, c’est-à-dire anglaises ; le reste de cette population (si on en excepte un petit nombre d’officiers à demi paie) sont des marchands, artisans et aubergistes qui résident dans les basses-villes de Québec et de Montréal, dont la plupart sont des gens d’une mince éducation qui ont suivi l’armée, ou des soldats congédiés à la réduction des troupes ; tous ont leur fortune à faire, et je crains bien que peu soient scrupuleux sur les moyens, lorsqu’ils peuvent atteindre leur but. Le rapport que j’en fais est qu’en général c’est le choix d’hommes le plus immoral que j’aie jamais connu, peu propre par conséquent à inspirer du goût aux nouveaux sujets (les Canadiens) pour nos lois… Les Canadiens, accoutumés à un gouvernement arbitraire et en quelque sorte militaire, sont une race d’hommes frugals, industrieux et de bonnes mœurs… Ils sont choqués des insultes que leur noblesse et les officiers du roi d’Angleterre ont reçues des marchands et des avocats anglais depuis que le gouvernement civil est établi… D’après mes instructions, les magistrats et les jurés devaient être pris sur un nombre de quatre cent cinquante méprisables trafiquants qui étaient venus commercer dans le pays… Ces derniers haïssent les nobles Canadiens parce que leur naissance et leur conduite leur attirent le respect et ils ont les habitants en exécration parce qu’ils les voient échapper à l’oppression qui les menaçait… Le mauvais choix et le nombre des officiers civils envoyés d’Angleterre augmenta les inquiétudes de la colonie. Au lieu d’hommes de talents et de mœurs pures, il en a été nommés qui avaient les qualités toutes contraires… Le juge choisi pour concilier les esprits des Canadiens fut tiré d’une prison, entièrement ignorant du droit civil et de la langue du pays. Le procureur-général n’était pas mieux qualifié par rapport à la langue. Les pauvres Canadiens se soumirent avec patience à ces abus et aux taxes pesantes qu’on leur faisait supporter… Je me glorifie d’avoir fait tout en mon pouvoir pour gagner à mon royal maître l’affection de ce peuple brave et courageux, dont le départ du pays, si jamais il avait lieu, serait une perte irréparable pour l’empire. » Pour tranquilliser les esprits, Murray avait rendu une ordonnance enjoignant de suivre les lois françaises dans les procès relatifs aux successions et à la tenure des terres. Comme le remarque Garneau, c’était revenir à la légalité. On ne pardonna pas cet acte au gouverneur.

Le cri de la bande sordide qui se jetait sur le pays résonnait partout, d’après un mot d’ordre : « Les Canadiens sont un peuple de valets incapables de voir à leurs propres affaires et qui nuisent par leur présence aux intérêts de la Grande-Bretagne en Amérique. La race française dont ils sont sortis est inférieure à la race anglo-saxonne. Ils ont été conquis par suite de leur état de décadence, etc. »

  1. De 1764 à 1766, on enrôla volontairement six cents Canadiens qu’on envoya au Détroit réprimer la révolte de Pontiac.