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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

de la France rien n’éveillait plus l’espoir. Au milieu des angoisses de ces années terribles, le patriotisme se raffermit. On résolut d’accepter l’état des choses nouvelles et d’en tirer le meilleur parti possible. Savoir attendre est l’art de parvenir — et quand on a du cœur, l’attente même est douce et fortifiante. Le temps devait venir où le Canadien, embrassant l’horison d’un coup d’œil, découvrirait le moyen que ses ancêtres, les Normands, employaient avec succès contre leurs vainqueurs : l’adoption des mesures imposées mais avec le dessein de s’en servir adroitement. Un problème est-il difficile, on le retourne, et le plus souvent il est résolu. Depuis la conquête c’est là notre histoire.

À l’honneur des officiers militaires qui nous avaient combattus et que les circonstances appelèrent tout d’abord à l’administration du pays, nous devons dire qu’ils tinrent une conduite loyale et généreuse. Ils savaient ce que les habitants valaient et ils les respectaient. Ceci contribua beaucoup à pacifier les campagnes. Plus tard, on nous adressa de Londres des hommes non instruits de notre position et surtout préjugés — ils gâtèrent tout par un faux zèle britannique. Nos premiers défenseurs devant le public anglais furent ceux qui nous avaient rencontrés sur les champs de bataille et qui ensuite avaient étudié sur place nos sentiments et notre caractère. Ils n’hésitèrent pas à protester contre l’aveuglement de fonctionnaires mal inspirés et qui se modelaient sur leurs collègues des colonies anglaises avoisinant le Canada. Ces derniers ont donné naissance au mouvement révolutionnaire qui a créé les États-Unis.

Si, au lendemain de la conquête, on eut vu arriver en foule des immigrants de l’Angleterre, l’idée d’absorber les Canadiens et de les faire disparaître dans la masse du peuple nouveau eut pû avoir sa raison d’être, mais il ne vint ici aucun colon, seulement des marchands, en petit nombre. Une sage politique prescrivait par conséquent de s’en tenir à la situation toute faite et de calmer les appréhensions des Canadiens. C’est ainsi que le général Murray et d’autres de son entourage l’entendaient.

Les capitulations de Québec et de Montréal reconnaissaient la religion catholique, les lois françaises, la langue française et de plus mettaient les Canadiens sur le pied des sujets anglais pour toutes fins. Ces quatre conditions semblent avoir été regardées comme lettres mortes par les généraux Amherst et Murray, bien que leur administration puisse passer pour libérale, à une époque où les peuples des colonies étaient menés haut la main et tenus de se contenter de n’importe quoi.

Aussitôt le traité de paix connu en Canada (1763) le clergé fit des démarches pour donner un successeur à Mgr  de Pontbriand, décédé depuis trois ans ; Mgr  Briand, choisi en cette occasion, fut accepté par l’Angleterre. Bientôt après, on lui refusa le titre d’évêque de Québec, sous prétexte que ce titre appartenait à l’évêque protestant. Ensuite on voulut qu’il ne nommât aux cures que par la permission du gouverneur. D’autre part, on exigea le serment du reste de tous les habitants. Ce n’était pas respecter les capitulations.

Les tribunaux des campagnes furent composés généralement de capitaines de milice présidés par des officiers de l’armée anglaise. Pourquoi n’avoir pas maintenu les anciens