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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

rables et sans importance la contrée et les faibles groupes d’habitants qui s’y trouvaient dispersés. Ils se contentèrent d’installer une petite garnison à Port-Royal, qu’ils appelèrent désormais Annapolis ; quant aux Acadiens, on leur demanda un serment d’allégeance auquel ils se refusèrent d’abord et qu’ils éludèrent ensuite ; d’ailleurs, aucun colon anglais ne vint s’installer dans ce pays, et l’Acadie, sous la surveillance de quelques soldats dont personne ne comprenait la langue, demeura isolée du reste du monde comme le château de la Belle au bois dormant. En droit, les Anglais étaient bien les maîtres de la contrée, mais en fait ils ne dominaient que le fort et ses alentours immédiats ; ils obtinrent un simulacre de soumissions des Acadiens qui demeuraient près du fort. Quant à ceux qui habitaient dans l’intérieur, dans les paroisses des Mines, et bien plus encore les gens du district de Beaubassin, ils échappaient entièrement à leur action et se gouvernaient eux-mêmes, par un concours tacite de l’autorité patriarcale des pères de famille et des missionnaires : on songeait à peine à eux ! »

En 1720, l’île Saint-Jean, restée française, n’avait encore qu’une population de dix-sept familles, ou environ cent âmes, et en 1728, trois cent trente. Le nord de l’Acadie comptait six mille âmes en 1731, divisées presque également entre les Mines, Beaubassin, Pigiguit et Port-Royal ; le groupe le plus à l’aise se trouvait au bassin des Mines et le moins favorisé à Port-Royal. En 1733, il y avait sur la rivière Saint-Jean vingt ménages composés de cent onze âmes. L’île Saint-Jean renfermait cinq cent quarante âmes en 1735 ; la paroisse d’Ekoupay, principal poste de la rivière Saint-Jean, n’avait encore que cent seize âmes quatre ans plus tard. Tout le monde de l’Acadie formait une population de sept mille six cents âmes en 1737 — ce qui, en comprenant les petites colonies déjà mentionnées du Nouveau-Brunswick, portait à huit mille le nombre des Acadiens. Deux mille en 1710 ; huit mille en 1740 ! D’après cette progression, il était facile de prévoir qu’à la fin du siècle, ils dépasseraient cent mille. Ce fait alarma le gouverneur anglais, et comme il ne venait pas ou presque pas de colons de langue anglaise se fixer dans ces territoires, on chercha, dit M. Rameau, « à intimider les habitants et à gêner leur expansion ; on surveilla de très près les missionnaires qui dirigeaient leurs paroisses ; enfin on fit revivre la question du serment d’allégeance si souvent demandé et toujours écarté ; on menaça ceux qui ne le prêteraient pas de les expulser en confisquant leurs biens ; les gens ne s’y refusaient point absolument, mais ils voulaient introduire dans le serment une réserve qui les dispensât de porter les armes, en cas de guerre contre les Français. Ils alléguaient non sans raison que le premier gouverneur Nicholson avait accepté cette restriction, et en effet, depuis la conquête, ils étaient connus et désignés dans toute l’Amérique du Nord sous le nom de French neutrals. Les Anglais voulaient un serment sans réserve, mais ils étaient sans moyens d’action pour l’exiger, excepté dans la paroisse de Port-Royal ; les Acadiens s’obstinèrent, et la question traînant en longueur s’envenima et devint une des causes de la funeste et terrible péripétie qui termine cette histoire. Les Anglais étaient inquiets ; la guerre qui éclata en 1744 avec la France poussa cette inquiétude à l’extrême. »