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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

lorsqu’elle est bonne et bien conditionnée. Ceux qui prétendent que la destruction des Iroquois serait avantageuse aux colonies de la Nouvelle-France, ne connaissent pas les véritables intérêts de ce pays-là, puisque si cela était les sauvages qui sont aujourd’hui les amis des Français seraient alors leurs plus grands ennemis, n’en ayant plus à craindre d’autres. Ils ne manqueraient pas d’appeler les Anglais, à cause du bon marché de leurs marchandises dont ils font plus d’état que des nôtres ; ensuite tout le commerce de ce grand pays serait perdu pour nous. Il serait donc de l’intérêt des Français que les Iroquois fussent affaiblis, mais non pas totalement défaits ; il est vrai qu’ils sont aujourd’hui trop puissants ; ils égorgent tous les jours nos sauvages alliés. Leur but est de faire périr toutes les nations qu’ils connaissent, quelque éloignées qu’elles puissent être de leur pays. Il faudrait tâcher de les réduire à la moitié de ce qu’ils sont, s’il était possible, mais on ne s’y prend pas comme il faut : il y a plus de trente ans que leurs anciens ne cessent de remontrer aux guerriers des Cinq-Nations, qu’il est expédient de se défaire de tous les peuples sauvages du Canada, afin de ruiner le commerce des Français, et de les chasser ensuite de ce continent ; c’est la raison qui leur fait porter la guerre jusqu’à quatre ou cinq cents lieues de leur pays, après avoir détruit plusieurs nations différentes, en divers lieux. Il serait assez facile aux Français d’attirer les Iroquois dans leur parti, de les empêcher de tourmenter leurs alliés, et de faire en même temps, avec quatre nations Iroquoises, tout le commerce qu’elles font avec les Anglais de la Nouvelle-York. Cela se pourrait aisément exécuter, moyennant dix mille écus par an qu’il en coûterait au roi ; voici comment : Il faudrait premièrement rétablir au fort Frontenac (Cataracoui) les barques qui y étaient autrefois (du temps de La Salle), afin de transporter aux rivières des Tsonnontouans et des Onnontagués les marchandises qui leur sont propres, et ne les leur vendre que ce qu’elles auraient coûté en France ; cela n’irait tout au plus qu’à dix mille écus de transport. Sur ce pied-là, je suis persuadé que les Iroquois ne seraient pas si fous de porter un seul castor chez les Anglais, pour quatre raison, la première, parce qu’au lieu de soixante ou quatre-vingts lieues qu’ils seraient obligés de les transporter sur leur dos à la Nouvelle-York, ils n’en auraient que sept ou huit à faire de leurs villages jusqu’aux rives du lac de Frontenac (Ontario) ; la deuxième, qu’étant impossible aux Anglais de leur donner des marchandises à si bon marché, sans y perdre considérablement, il n’y a point de négociant qui ne renonçât à ce commerce ; la troisième consiste en la difficulté de subsister dans le chemin de leurs villages à la Nouvelle-York, y allant en grand nombre, crainte de surprise, car j’ai déjà dit en plusieurs endroits que les bêtes fauves manquent en leurs pays ; la quatrième, c’est qu’en s’écartant de leurs villages pour aller si loin, ils exposent leurs femmes, leurs enfants et leurs vieillards en proie à leurs ennemis qui, pendant ce temps-là, peuvent les tuer ou les enlever, comme il est arrivé déjà deux fois. Il faudrait, outre cela, leur faire des présents toutes les années, en les exhortant à laisser vivre paisiblement nos sauvages alliés, lesquels sont assez sots de se faire la guerre entre eux, au lieu de se liguer contre les Iroquois qui sont les ennemis les plus redoutables qu’ils aient à craindre. C’est une sottise de dire que ces barbares dépendent des Anglais ; cela est si peu vrai que quand ils