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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

ces prétendus rochers ne paraissent que sur les cartes[1]. J’ai lu quelques descriptions des ports, des rades et des côtes de ces îles et des mers circonvoisines, faites par des Portugais qui ne font aucune mention des écueils qu’on remarque sur toutes ces cartes ; au contraire, ils disent que les côtes de ces îles sont fort saines, et qu’à plus de vingt lieues au large on n’a jamais eu connaissance de ces rochers imaginaires. Dès que les vaisseaux de France sont arrivés[2] à Québec, les marchands de cette ville qui ont leur commis dans les autres villes, font charger leurs barques de marchandises pour les y transporter. Ceux qui sont pour leur propre compte aux Trois-Rivières ou à Montréal descendent eux-mêmes à Québec pour y faire leur emplette, ensuite ils frètent des barques pour transporter ces effets chez eux. S’ils font les paiements en pelleteries[3], ils ont meilleur marché de ce qu’ils achètent que s’ils payaient en argent ou en lettres de change, parce que le vendeur fait un profit considérable sur les peaux à son retour en France. Or, il faut remarquer que toutes ces peaux leur viennent des habitants ou des sauvages, sur lesquelles ils gagnent considérablement. Par exemple, qu’un habitant des environs de Québec porte une douzaine de martres, cinq ou six renards, et autant de chats sauvages à vendre chez un marchand, pour avoir du drap, de la toile, des armes, des munitions, en échange de ces peaux, voilà un double profit pour le marchand : l’un parce qu’il ne paie ces peaux que la moitié de ce qu’il les vend ensuite en gros aux commis des vaisseaux de la Rochelle ; l’autre par l’évaluation exhorbitante des marchandises qu’il donne en paiement à ce pauvre habitant. Après cela faut-il s’étonner que la profession de ces négociants soit meilleure que tant d’autres qu’on voit dans le monde ? » Le 28 juin 1685, il écrit de Montréal : « Je vis débarquer presque en même temps vingt-cinq ou trente canots de coureurs de bois, chargés de castors, venant des grands lacs. La charge de chacun était de quarante paquets. Chaque paquet pesait cinquante livres, et valait cinquante écus au bureau des fermiers. Ils étaient suivis de cinquante canots, Outaouas[4] et Hurons, qui descendent presque tous les ans à la colonie pour y faire emplette, ce qu’ils font à meilleur marché qu’en leur propre pays de Michillimakinac, situé sur le rivage du lac des Hurons, à l’embouchure de celui des Illinois. Vous ne serez pas fâché d’apprendre le détail de cette espèce de foire sauvage à Montréal. Ces marchands se campent à cinq ou six cents pas de la ville. Le jour de leur arrivée se passe tant à ranger leurs canots et débarquer leurs marchandises qu’à dresser leurs tentes, lesquelles sont faites d’écorce de bouleau. Le lende-

  1. Le capitaine de Voutron, commandant le Saint-François, écrivait de la Rochelle, en 1716 : « J’ai été sept fois en Canada, et quoique je m’en sois bien tiré, j’ose assurer que le plus favorable de ces voyages m’a donné plus de cheveux blancs que tous ceux que j’ai fait ailleurs. Dans tous les endroits où l’on navigue ordinairement, on ne souffre point et l’on ne risque pas comme en Canada. C’est un tourment continuel de corps et d’esprit. J’y ai profité de l’avantage de connaître que le plus habile ne doit pas compter sur la science. » — Margry : Les Navigations Françaises, p. 324.
  2. Le moment des achats à bon marché était celui de l’arrivée des vaisseaux de France, une fois l’an. Les Canadiens prirent de bonne heure la coutume de se pourvoir de linge et d’étoffes en ces occasions, afin de n’en pas manquer durant les mois à venir. De là ces armoires, remplies jusqu’au faîte, de toiles, de lainages, de fil, etc., que les hommes de la génération actuelle ont pu voir dans nos maisons de campagne, quoique le commerce soit ouvert aujourd’hui en toute saison.
  3. Par suite de la rareté de l’argent, il avait été décrété, en 1674, que l’on pourrait offrir en payement de toutes dettes des peaux d’orignal au prix ordinaire.
  4. Jusque vers 1655, le grand commerce des fourrures avait eu lieu aux Trois-Rivières. Les Outaouais commencèrent alors à s’arrêter à Montréal qui devint le principal marché des sauvages de l’Ouest.