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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Mais parmi ceux qui ébranlaient plus vivement les esprits de ces braves, parmi ceux qui les grisaient de gloire et leur faisaient accomplir des miracles de valeur, aucun n’était comparable à d’Iberville.

Le héros voulait conserver la baie d’Hudson et ne pas être à la peine de la reconquérir tous les ans. Il passa en France (1691) fut fait capitaine de frégate (1692) et reçut instruction d’ouvrir la mer aux vaisseaux marchands qui naviguaient de France en Canada. Dans l’un de ces voyages (1694) il se rendit au fort Nelson, à la baie d’Hudson, l’enleva mais y perdit son frère, Louis Le Moyne de Châteauguay, tué durant l’attaque. Louis XIV, en ce moment victorieux partout, offrait la paix à l’Angleterre qui la refusa. M. de Frontenac eut ordre d’agir vigoureusement contre les Iroquois, M. de Villebon de prendre et faire sauter Pemaquid, et les autres commandants d’occuper Terreneuve et la baie d’Hudson. Ce plan fut exécuté à la lettre, l’été de 1696, sauf que d’Iberville, occupé sur les côtes, de Terreneuve à Boston, dut remettre à l’année suivante l’entreprise du nord. Au mois de mai 1697, un autre de ses frères, Le Moyne de Sérigny[1], lui amena de France une escadre avec laquelle il accomplit la plus brillante de ses campagnes[2]. Enfin, le 25 de septembre, la paix fut signée à Ryswick. Louis XIV conservait la baie d’Hudson et ses territoires en Amérique.

La carrière de d’Iberville n’a pas été uniquement militaire. Réduit à déposer les armes, il tourna ses regards vers un autre emploi conforme à ses talents et à son patriotisme. Le mystère qui enveloppait les bouches du Mississipi le tenta. Après avoir promené en vainqueur le pavillon français dans les glaces du nord, il voulut saluer le soleil des tropiques. Hernandez de Soto (1539)[3], Jean Nicolet (1634), Chouart des Groseilliers (1659), Jolliet et Marquette (1673), Cavelier de La Salle (1682) avaient attaché leurs noms au fleuve mystérieux sans parvenir à en compléter la découverte. Rien de grand n’était étranger à d’Iberville. Il savait que ses compatriotes, poussés au delà des lacs par l’esprit d’aventure, se répandaient sur le Wisconsin, le Wabash, l’Illinois, et même sur le Mississipi. Leur ouvrir une porte à l’océan et rendre la France maîtresse de la Louisiane[4], du centre de l’Amérique, et relier le tout au Canada, quel rêve ! Ce fut le sien — il le réalisa. Parti de la Rochelle en septembre 1698, avec deux navires, il releva les côtes de la Floride le 27 février, passa la baie de Mobile, monta en barque avec son frère, Jean-Baptiste LeMoyne de Bienville, M. de Sauvole, enseigne de vaisseau, le père Anastase Douay, récollet, compagnon de La Salle et témoin de sa mort, et quarante-huit hommes ; le troisième jour après avoir quitté ses vaisseaux, il entra dans une rivière (2 mars) dont l’eau était troublée et le lit extrêmement profond. Dix jours plus tard, arrivé au village des Bayagoulas, il eut connaissance de certains articles de vêtement et vit un livre de prières qui avaient appartenu aux gens de La Salle. Au village des Oumas, situé un peu plus haut, il lui fut remis une lettre de Henri de Tonty,

  1. Les d’Hozier, juges d’armes de la noblesse de France, portaient le surnom de Sérigny.
  2. Voir Garneau : Histoire du Canada, I, 368-371.
  3. Onze ans avant de Soto, un autre Espagnol, Alvar Nunez Cabeça de Vaca, avait eu connaissance du Mississipi qu’il traversa près de Memphis, dans le Tennessee.
  4. Le 10 juin 1679, dans l’acte de concession de l’île de Belle-Isle à François Daupin, sieur de la Forest, signé par Cavelier de La Salle, ce dernier mentionne le voyage qu’il va faire « pour la découverte de la Louiziane. » — (Harrisse : Bibliographie, p. 151).