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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

privilège de traite. Dans cette alternative, il prit le parti de l’honneur qui fait braver les dangers et impose des sacrifices. Endetté d’un premier équipement, il s’endetta d’un second ; il employait déjà son neveu et trois de ses fils,[1] il prépara son quatrième, âgé de dix-huit ans[2] à accompagner ses frères, l’année suivante, lui faisant enseigner l’art de lever des plans et de dresser une carte, et il s’engagea dans cette entreprise où, à force d’énergie, il devait encore obtenir, malgré tous les obstacles, assez de résultat pour jeter un éclat durable sur son nom et sur celui de l’homme qui avait encouragé ses efforts. »

Un autre écrivain fait cette observation : « En lisant la correspondance qui s’étend de la lettre de Talon au roi, du 2 novembre 1671, aux réponses de Maurepas à M. de Beauharnois concernant les expéditions des Varennes de la Véranderye en 1735, on est frappé de la condition imposée aux découvreurs de se contenter comme mise de fonds des profits qu’ils étaient supposés devoir retirer des privilèges que le gouvernement leur accordait. » Après le nouveau refus essuyé en 1735, M. de Beauharnois crut devoir permettre néanmoins à la Vérendrye d’affermer pendant trois ans à des négociants ses postes de traite, à la condition qu’il n’y ferait aucun commerce, ni directement ni indirectement,[3] de façon qu’il put s’avancer davantage vers le but où tendaient tous ses efforts. Cette espèce de demie faveur ne relevait pas la Vérendrye de la dépendance sous laquelle le tenaient les marchands ; elle lui imposait plutôt un surcroît d’obligations, mais il eut le courage de tout accepter.

La ligne de communication, par eau, du lac Supérieur au lac Winnipeg était comme une borne frontière tirée entre les territoires des nations du nord et du sud. Un mémoire officiel, daté de 1736, nous fournit les renseignements qui suivent : « Les Têtes-de-Boule sont des sauvages errants, qui n’ont aucun village et leur intelligence est fort bornée. Ils ont des rapports avec les gens du lac Abbitibis. Ils fréquentent les lacs et les montagnes de l’intérieur entre les Trois-Rivières et le lac Supérieur. À la Kamanistigoya, les Ouacé sont au nombre de soixante guerriers. Les Indiens des parages du lac Tecamamiouen ou la Pluie comptent cent guerriers ; ce sont les mêmes qui fréquentent le lac Nipigon. Les Cristinaux répandus aux alentours du lac des Bois comptent deux cents guerriers. Il y a à peu près soixante guerriers Cristinaux autour du lac Ouinipegon. » Les Christinaux, peuple pacifique, allaient en traite tantôt chez les Français, tantôt chez les Anglais. Durant vingt années qu’ils commandèrent au nord-ouest les La Vérendrye restèrent en bons termes avec eux. Au sud, les tribus des Sioux, féroces et pillardes, occupaient les plaines et se rencontraient avec les Français sur le Mississippi. Elles ne tardèrent pas à avoir connaissance de la marche de nos découvreurs qui s’avançaient dans la direction de la rivière Rouge. C’est entre ces deux grandes nations que la Vérendrye se frayait un chemin.

L’expédition de 1736, conduite par l’un de ses fils et par le père Auneau, jésuite, appor-

  1. Nous les supposons âgés réciproquement de 18, 19 et 20 ans en 1733-4.
  2. Il est possible, en effet que ce quatrième fils eut 18 ans en 1734-5. Les garçons de La Vérendrye seraient donc nés en 1713, 1714, 1715 et 1716.
  3. Nous empruntons beaucoup à M. Margry qui a eu l’avantage de consulter certaines pièces dont nous n’avons ni les originaux ni les copies en Canada.