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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

confiai quelques-unes de mes pensées les plus intimes, de mes sentiments les plus affectueux. Il me semblait que quelques gouttes de cette onde limpide, après avoir traversé la chaîne de nos grands lacs, iraient battre la plage près de laquelle une mère bien-aimée priait pour son fils… La hauteur des terres était comme le seuil de la porte qui nous laissait pénétrer dans notre nouveau séjour ; c’était comme la barrière qui allait se fermer derrière nous. » Ces lignes tombées de la plume d’un parent du Découvreur se placent ici d’elles-mêmes.

C’est donc par la rivière des Groseillers que l’expédition entra dans les terres et rencontra les lacs la Croix et la Pluie au Tokamanionan. À partir de là, les grands obstacles que présente la navigation disparaissent presque tout à coup. La hauteur des terres est surmontée, on marche ouvertement vers l’ouest. Le lac La Pluie est une belle nappe d’eau de trois lieues de longueur qui se décharge vers l’ouest, par une chute de dix pieds, dans la rivière à la Pluie. On était en plein pays nouveau.

À la sortie du lac, La Vérendrye fixa un premier poste auquel il imposa son nom de baptême. Le fort Saint-Pierre, placé à quatre-vingts lieues du lac Supérieur, était un chaînon de la longue ligne d’établissements qui devaient s’étendre, en une vingtaine d’années, sur les lacs et les rivières du nord-ouest, jusqu’au pied des Montagnes-Rocheuses. La civilisation commençait là une œuvre semblable à celle qui avait été accomplie en remontant le cours du Saint-Laurent et en descendant celui du Mississipi. De nos jours, cette entreprise est en voie de se perfectionner par un gigantesque chemin de fer partant de l’ancien Canada et se terminant aux rives du Pacifique.

La voie tracée par les découvreurs du Canada est assez correctement figurée par la forme d’un Y, selon la remarque de M. Margry. La tige du bas de cette lettre représente ici le parcours de Québec au bassin des grands lacs. De ce point, il y a bifurcation : la branche de gauche porte vers le Mississipi au sud, celle de droite vers le Pacifique à l’ouest. À l’époque où nous sommes parvenus, cette dernière était encore très courte, comme on peut l’imaginer. C’est de ce côté que se dirigera désormais l’attention de nos lecteurs ; nous verrons s’allonger cette ligne, petit à petit, durant plus de vingt ans de travaux et de sacrifices accomplis par une seule famille, sans fortune, sans protection, mais riche de patriotisme, de courage et capable du plus noble dévouement.

Peut-être La Vérendrye se rendit-il, dès cette année, 1731, au lac Winnipeg, situé à deux cents lieues du lac Supérieur et que l’on avait hâte de connaître, mais cela n’est pas probable. On ne cite qu’une fondation de fort — celui de Saint-Pierre — d’où l’on dut expédier des pelleteries à Montréal dès le printemps suivant. Le transport des provisions et des articles de traite tirés du Canada ou de la France et, en échange, l’envoi des fourrures du lac la Pluie aux magasins de Montréal, ne s’exécutaient pas sans coûter beaucoup de temps et d’argent. Au lieu d’un pays à découvrir, ou plutôt en sus des découvertes, La Vérendrye avait sur les bras l’administration d’un commerce étendu, dont il était responsable envers ses associés. L’occasion de s’enrichir était belle et tentante. Sans forfaire à l’honneur, il pouvait, au titre de son contrat, prendre sa part des bénéfices de l’exploitation et ne s’avancer dans l’ouest que