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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

point d’apparence, en voyant la carte qu’ils ont tracée, que ce fleuve ait communication avec la mer du nord. Comme il y a plusieurs rivières qui vont à la hauteur (de terre ?) qui est dans la carte au sud-ouest vers le lac Nipigon, il est probable que de cette hauteur il y en a aussi qui descendent à la mer de l’ouest. Pour être en état de s’éclaircir de la vérité, il faudrait faire un second établissement au lac Ouinigon.[1] La Marte-Blanche m’a promis de m’y conduire, ou, comme il est vieux, de m’y faire conduire par son fils. Ce lac est environ à cinq cent lieues[2] de la rivière de Camanistigouia.[3] En partant de Montréal au mois de mai, on peut se rendre en septembre au lac des Bois. Depuis le fond du lac Supérieur jusqu’à ce deuxième lac, il y a aussi loin que depuis la décharge de ce second lac à aller au lac Ouinipigon, avec cette différence qu’il n’y a que deux cascades où l’on fait portage dans toute la grande rivière de l’ouest, au lieu que, du lac Supérieur au lac des Bois, pendant une centaine de lieues, ce ne sont presque que portages sur portages. Les deux cascades dont je viens de parler se trouvent dans un terrain de pierre à fusil. Le grand fleuve qui va à la mer est la décharge du lac et de la grande rivière qui s’y jette en courant toujours ouest. Ce grand fleuve court aussi ouest pendant l’espace de dix journées, après quoi il détourne ouest-nord-ouest, et c’est dès lors qu’on s’aperçoit du flux et reflux. Telles sont les connaissances que m’ont données les chefs Cris. Leur carte contient tous les pays qu’ils ont parcourus du nord au sud, et depuis le lac des Bois jusqu’au fleuve de l’ouest. Toute la droite de la grande rivière, en descendant depuis le lac des Bois jusqu’au Nipigon, est occupée par les Cris, et c’est le pays de l’orignal et des martes. La gauche de la même rivière est habitée par les Assiniboils et les Scioux ; c’est un pays fertile en métaux et où le bœuf sauvage est abondant. S’ils parlent de plus loin, c’est presque toujours des ouï dires et sans grande assurance.[4] Après ce détail, monsieur, il ne me reste qu’à vous représenter l’importance qu’il me semble y avoir de presser cette découverte. Les Cris sont en commerce avec les Anglais[5] où ils sont interprétés par les gens des Terres. Il est naturel qu’ils y parlent du projet d’avoir des Français chez eux et qu’il y donnent (aux Anglais) les mêmes connaissances qu’ils ont données ici. L’Anglais a tout intérêt à nous prévenir, et si on lui en donne le temps, il ne perdra pas l’occasion de le faire.[6] D’ailleurs cet établissement ne peut nuire au poste de Camanistigouia. C’est un nouvel avantage pour la colonie, indépendamment de la découverte de la mer de l’ouest, par la quantité de pelleteries qui s’y fera et qui se perdent chez les Scioux et les Assiniboils, ou qui, par le moyen des Cris, vont aux Anglais. Heureux, monsieur, de m’être trouvé en lieu de faire ces découvertes sous les auspices d’un général plus en état que personne de les pousser jusqu’où elles peuvent aller, c’est ce qui fait ma plus grande satisfaction. J’ai l’honneur d’être, avec une très humble reconnaissance, etc., P. L. »[7] Puis un post-scriptum : « J’eus l’honneur,

  1. Winnipeg.
  2. Dans les écrits de cette époque, les mots lieue et mille sont souvent employés l’un pour l’autre.
  3. De la baie du Tonnerre au lac Shebandowan, 60 milles ; de là au fond du lac la Pluie (fort Frances) 194 milles ; de là au lac Winnipeg, 310 milles. Total : 564 milles. De la baie d’Hudson à la rivière Rouge, 700 milles.
  4. Il est évident que la Vérendrye n’avait vu que des Sauvages du lac des Bois, et non pas ceux de la rivière Rouge.
  5. De la baie d’Hudson.
  6. La Vérendrye est patriote avant tout.
  7. Pierre La Vérendrye.