coureurs de bois molestaient les Anglais, les écartaient des territoires de traite et ruinaient leurs nouveaux établissements. Mais, d’un autre côté, ces enfants perdus de la cause française s’étaient compromis en méprisant les lois de leur propre souverain. En de certains moments ils sentaient qu’ils avaient intérêt à se ménager un peu les bonnes grâces des Anglais, tout en restant, par instinct, par état, en antagonisme avec eux. Cette position délicate, tout à fait romanesque, avait du charme pour ces aventuriers remplis d’adresse et de ressources, qui risquaient journellement leur peau sur les chances de quelque mince bénéfice. Placés comme entre deux feux, ils se croyaient libres, avec la perspective d’être assommés par les sauvages, fusillés par les Anglais, emprisonnés par les Français — ou de bâcler l’un des matins une affaire d’or avec les marchands étrangers ou les contrebandiers du Canada.
La Pennsylvanie était habitée par des Anglais, des Hollandais, des Norvégiens, des Suédois, des Flamands et des Allemands. De 1686 à 1701, cette province fut en proie aux dissensions politiques. Tout un groupe de Canadiens se glissa, vers 1690, au cœur de la contrée et prit sur les sauvages un empire absolu, ce que voyant, les Philadelphiens proposèrent à plusieurs d’entre eux de s’arrêter à demeure fixe ; ils confièrent même à Pierre Bisaillon, le plus marquant de ces transfuges, le titre d’interprète officiel. Celui-ci planta sa tente sur la Susquehanna, à l’endroit où s’élève aujourd’hui Harrisburg, capitale de l’État. Autour de Bisaillon, il y avait Jacques Le Tort, Suisse français, et sa femme, Martin Chartier, Michel et Louis Bisaillon, et un nommé Dubois, tous gens remuants, qui ont laissé leurs noms dans les annales de la Pennsylvanie. En l’absence de Penn, passé en Europe, les factions politiques prenaient du champ. Tout-à-coup, le bruit courut (1693) que les Canadiens de l’ouest se préparaient à une invasion. Madame Anne Le Tort, Dubois et Bisaillon furent emprisonnés sous accusation d’avoir conspiré avec les sauvages et les coureurs de bois pour s’emparer des territoires de traite. La femme recouvra sa liberté après enquête, mais Bisaillon et Dubois subirent un procès en règle, après quoi on les relâcha, sous condition impérative de dénoncer au gouverneur tout mouvement hostile de la part des Français dont ils pourraient avoir connaissance. Pour plus de sûreté, leurs démarches furent soumises à une surveillance constante. En 1701, Pierre Bisaillon et son frère Louis, retombèrent aux griffes de la justice, afin, dit l’acte d’accusation, « de les empêcher de voyager et de trafiquer avec les sauvages, dans l’état embarrassant des affaires actuelles. » On ne sait ce que devint Louis, mais Pierre reparaît en 1703, porteur d’une licence ou permis de traite obtenu moyennant un dépôt de cinq cents louis, garant de « sa fidélité à la province. » À partir de ce moment, lui et sa femme conservèrent presque constamment la confiance des Anglais et des sauvages, jusqu’au temps où nous les perdons de vue, vers 1725. En 1707, au moment où l’on craignait le plus de voir les Canadiens envahir les colonies anglaises, un nouvel acte d’accusation fut lancé contre « Michel (a Swiss), Pierre Bisaillon, Jacques Le Tort, Martin Chartier, un gantier français de Philadelphie appelé Frank, jeune homme récemment arrivé du Canada, et un autre individu parlant français venant de la Virginie, pour s’être établis et avoir