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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

femmes du pays, sans exception, portent le bonnet. En général, elles sont fort laborieuses ; cependant, j’en ai vu quelques-unes qui, comme les Anglaises des colonies, ne faisaient rien que caqueter toute la journée. Lorsqu’elles travaillent en dedans de leurs maisons, elles fredonnent toujours, les filles surtout, quelques chansons, dans lesquelles les mots « amour » et « cœur » reviennent souvent… Les femmes de Québec sont tous les jours en grande toilette et parées autant que pour une réception à la cour… Elles ornent et poudrent leurs cheveux chaque jour et se papillottent chaque nuit… Il y a une distinction à faire entre les dames canadiennes, et il ne faut pas confondre celles qui viennent de France avec les natives. Chez les premières, on trouve la politesse qui est particulière à la nation française. Quant aux secondes, il faut encore faire une distinction entre les dames de Québec et celles de Montréal. La québecquoise est une vraie dame française par l’éducation et les manières ; elle a l’avantage de pouvoir causer souvent avec des personnes appartenant à la noblesse, qui viennent chaque année de France, à bord des vaisseaux du roi, passer plusieurs semaines à Québec. À Montréal, au contraire, on ne reçoit que rarement la visite d’hôtes aussi distingués. Les Français eux-mêmes reprochent aux dames de cette dernière ville, d’avoir beaucoup trop de l’orgueil des sauvages et de manquer d’éducation. Cependant, ce que j’ai dit de l’attention excessive qu’elles donnent à leurs coiffures s’applique à toutes les femmes du Canada. Les jours de réception, elles s’habillent avec tant de magnificence qu’on serait porté à croire que leurs parents sont revêtus des plus grandes dignités de l’État. Les Français, considérant les choses sous leur véritable aspect, s’alarment beaucoup de l’amour extravagant de la toilette qui s’est emparé d’une grande partie des dames en Canada, qui éloigne d’elles toute idée de faire des épargnes en prévision des besoins à venir, qui cause le gaspillage des fortunes et pousse à la ruine des familles… Elles ne portent pas moins d’attention aux modes nouvelles, et se moquent les unes des autres, chacune critiquant le goût de sa voisine, mais ce qu’elles reçoivent comme nouvelles façons est déjà passé de mode et mis au rebut en France. Les vaisseaux ne venant au Canada qu’une fois tous les douze mois, on considère comme de mode, pendant toute l’année, ce que les passagers ont apporté avec eux, ou ce qu’il leur plaît d’imposer comme étant du dernier goût. Les dames canadiennes, celles de Montréal surtout, sont très portées à rire des fautes de langage des étrangers, mais elles sont excusables jusqu’à un certain point, parce qu’on est enclin à rire de ce qui paraît inusité et cocasse, et au Canada on n’entend presque jamais parler le français que par des Français, les étrangers n’y venant que rarement. Quant aux sauvages, ils sont trop fiers pour s’exprimer dans une autre langue que la leur et les Français sont bien obligés de l’apprendre. Il suit de là que les belles dames du Canada ne peuvent entendre aucun barbarisme ou expression inusitée sans rire. La première question qu’elles font à un étranger est pour savoir s’il est marié, la seconde comment il trouve les femmes du pays, et si elles sont plus jolies que celles de son propre pays, et la troisième (lorsque l’étranger a répondu qu’il n’est pas marié) s’il ne fera pas choix d’une compagne avant de retourner chez lui. Pour continuer la comparaison entre les dames de Québec et celles de Montréal,